Un couple entre dans un restaurant. La femme remarque, à l’une des tables, une petite fille assise en face de sa mère. Elles ont terminé leur repas. La petite fille a mis son manteau, elle est prête à partir. Elle regarde sa mère mais sa mère a les yeux rivés sur son téléphone portable à échanger des messages. Le couple entame son repas pendant que la petite fille attend que sa mère la voie.
Le regard de l’enfant croise celui de la femme. La petite est mal-à-l’aise. La femme ne sait pas encore pourquoi cette enfant l’interpelle autant. Puis elle comprend. Elle lui rappelle l’enfant qu’elle était, et sa mère qui elle-même souvent ne semblait pas la voir. La femme saisit la solitude de la petite fille, ce sentiment d’être invisible aux yeux de celle que l’on aime le plus au monde, cette absence de regard qui rend transparent. Comment exister alors ?
Marie-Francine Hébert écrit ce texte à la première personne. La femme est la narratrice, elle embarque le lecteur dans la scène qui se déroule sous ses yeux. Elle raconte ce qu’elle voit, puis ce qu’elle comprend. Bien que la femme soit dans un monologue intérieur et se fait le témoin d’une solitude qu’elle ne connaît que trop bien, un dialogue muet se joue entre elle et la fillette. La femme adresse alors un message à l’enfant et à sa mère. « Je veux te dire que je t’ai vue, et ta maman aussi. »
Le texte de Marie-Francine Hébert est merveilleusement porté par les illustrations de Lauranne Quentric. Illustrer un texte comme celui-ci n’est pas chose aisée lorsque le seul décor est une salle de restaurant, et le personnage principal, une petite fille en attente de quelque chose qui ne vient pas. L’illustratrice y intègre la poésie de son univers. Les collages en papier de soie et la sobriété des images accompagnent avec subtilité et douceur cet instant si poignant que la femme et l’enfant partagent. Vues d’ensemble, gros plans et détails, les cadrages en alternance choisis par l’illustratrice permettent au lecteur de partager tour à tour le point de vue de la narratrice et de ressentir les éprouvés de l’enfant.
Le regard est le cœur du sujet. Celui de l’enfant, celui de sa mère, celui de cette femme. Le regard qui permet de se sentir aimé. Je te vois est un huis-clos bouleversant.
Par L.B.
Je te vois, texte de Marie-Francine Hébert, illustrations de Lauranne Quentric, Les 400 coups, 2023
@laurannequentric_illustration
À lire aussi de Lauranne Quentric :
Elle fait le printemps, d’après une idée originale de Praline gay-Para, Didier Jeunesse, 2023
Et pluie voilà, texte de Christophe Pernaudet, Éditions du Rouergue, 2019