Amélie Sarn est romancière – adulte et jeunesse- scénariste de bande dessinée et traductrice. Elle s’est ouverte à Un Autre Monde pour partager les textes qui l’ont fait et la font écrivain. C’est dans son antre, au cœur de son atelier-bibliothèque en plein centre de Bordeaux qu’elle nous accueille et livre sa voix d’auteur.

Propos recueillis par Lucie Braud

 

Quels sont tes souvenirs de lectures d’enfance ?

Amélie Sarn : Il y a plusieurs livres qui ont marqués mon enfance et que je relis encore régulièrement. Mon Bel oranger de José Mauro de Vasconcelos (paru en France en 1971 chez Stock) est un livre qui transporte beaucoup d’émotions et d’images. J’ai découvert ce texte à l’âge de 7 ans et jusqu’à l’âge de mes 25 ans, je le relisais tous les ans. L’histoire de Zézé, ce petit garçon de cinq ans vivant dans les bas quartiers au Brésil m’a beaucoup fait pleurer. L’une des scènes qui m’a le plus marquée est celle où le petit garçon joue en s’accrochant aux roues de secours des voitures. Portugâ, un homme d’un milieu aisé qui se prend d’affection pour l’enfant, l’attrape et lui met une fessée mémorable. Finalement, de cette rencontre brutale, naîtra leur amitié. Dans un autre registre, Histoire du prince Pipo de Pierre Gripari (Grasset jeunesse, 1976) est le livre qui a fait que je suis devenue écrivain. Ce sont les aventures du Prince Pipo que l’on suit. Le premier récit qui m’a marqué raconte l’histoire d’une histoire. L’écrivain rêve d’une histoire qui prend la forme d’un oiseau. Endormi, il doit se lever pour écrire mais ne le fait pas et l’histoire disparaît car, au petit matin, l’écrivain l’a oublié. L’oiseau se pose sur son épaule puis s’envole ailleurs constatant que l’écrivain ne pense plus à lui. Il finit par revenir, amaigri et a peur de disparaître définitivement si celui qui l’a rêvé l’oublie. En réalité, l’écrivain cherchait l’oiseau, il cherche à se rappeler de son histoire rêvée. La seconde histoire s’appelle l’Histoire du menteur. Un petit garçon ne peut s’empêcher de mentir. Sa mère l’emmène voir une fée doctoresse qui a le pouvoir de rendre crédibles ses histoires. Plus tard, il devient écrivain. Cette histoire, je la raconte souvent dans les classes lorsque je suis invitée à parler de mon travail. Quant à l’histoire du Prince Pipo, elle évoque un monde où ce sont les enfants qui choisissent leurs parents. Ces trois textes de Gripari sont des textes fondateurs pour mon travail écriture et qui me ramènent à la lectrice que j’étais à 7 ans. Pourtant, il est difficile d’analyser comment ils interviennent dans mon écriture aujourd’hui. Mon Bel oranger est certainement le livre qui me ramène à mes émotions et qui m’a aidé à traiter les relations parents – adolescents dans mon livre Clairvoyance. Je pense aussi à d’autres auteurs et d’autres livres qui ont leur importance : Le Poney Rouge de Steinbeck, Ce jeudi d’octobre d’Anna-Greta Winberg (Hachette, 1979) et les œuvres d’Agatha Christie et de Roald Dahl. Ce dernier m’a ouvert de nouveaux mondes parce qu’il ne s’interdit rien dans l’écriture.

Comment ton adolescence a-t-elle été marquée par la littérature ?

A.S. : Adolescente, je n’ai pas arrêté de lire, j’ai toujours lu énormément, au minimum un livre par semaine. C’est à cette période de ma vie que j’ai découvert Colette. Elle me saisit encore par la précision de son écriture, son acuité et le réalisme de ses descriptions. Elle m’a tellement fasciné que j’ai lu toutes les biographies qui existent sur elle. Colette disait qu’il fallait éviter les points de suspension, que cela signifiait que l’écrivain n’avait pas trouvé le mot et qu’il fallait continuer à chercher. Elle a eu un impact fort sur ma réflexion et mon travail d’écrivain. J’ai découvert avec sa littérature plusieurs formes de sensualité : le plaisir de manger, de sentir, de séduire. Tout cela est très présent chez elle. Je n’ai pas vraiment de problème pour décrire les sensations mais j’ai de réelles difficultés à écrire les scènes d’amour et de séduction. J’aime écrire les sensations, par petites touches, comme faisaient les Impressionnistes. Le sentiment d’avoir vécu une scène et de réussir à la mettre en mots est l’aboutissement d’une transmission.
Ensuite, il y a un texte très important pour moi, un livre que je relis encore, Les Fous de Bassan (Seuil, 1982) de la québécoise Anne Hébert. Il m’a appris une nouvelle forme de narration. Chaque habitant d’un village raconte sa version d’une histoire. Chacun donne son point de vue. Quand on écrit, on entre dans la peau de quelqu’un mais cela ne se voit pas. On peut être qui on veut comme on veut. Ainsi, lorsque j’ai écrit Elle ne pleure pas, elle chante (Albin Michel, 2002), un livre qui parle de mon vécu, je pouvais sublimer la personne qui est en moi. Je n’ai pas eu besoin de raconter mon histoire, c’est une histoire que j’avais et que je pouvais raconter comme j’avais envie de le faire, en donnant corps un quelqu’un qui est à l’intérieur de moi, à une partie de moi.

Tes lectures sont très tournées vers la littérature anglo saxonne. Quelles sont-elles et quels liens fais-tu entre elles, ton travail d’écrivain et celui de traductrice ?

A.S. : Ma mère était professeure d’anglais, il y avait donc beaucoup de livres d’auteurs anglophones dans la bibliothèque familiale. Je lis toujours beaucoup de littérature américaine mais pas seulement car Dostoïevski est par exemple un de mes auteurs favoris. Dans la littérature américaine, je trouve le souffle, cette sensation de pouvoir parler de quelque chose d’extrêmement vaste. Jim Harrison me fait voyager très loin ; Donna Tartt développe une énergie phénoménale dans chacun de ses trois romans. Quant à John Irving, il n’a pas peur de raconter la vie d’un homme, d’avant sa naissance jusqu’à sa mort. Paul Auster, lui, commence par l’Expressionnisme abstrait avec sa Trilogie New-Yorkaise (Actes Sud, 1991) pour finir dans la littérature baroque avec une écriture réaliste à la Dickens (Mr Vertigo, par exemple). Ça me fait toujours penser au cheminement de Mondrian qui a commencé par peindre New-York avec forces détails pour en arriver à des carrés de couleur ; sauf qu’Auster a suivi le processus inverse. Le souffle qu’il amène ainsi et que je retrouve dans Mr Vertigo (Actes Sud, 1994) me fascine.
Le rapport à la littérature est très différent dans les pays anglo saxons. En France, soit la littérature a une image très noble et très haute, soit elle a une image très péjorative lorsque l’on parle de romans de gare. Aux Etats-Unis, écrivain est considéré comme un métier, et un étudiant peut suivre des cours de fiction créative à l’Université. On y apprend à « écrire » et c’est normal. En France, aborder la littérature par la « technique » d’écriture est péjoratif, pourtant, nous avons des écoles qui apprennent les techniques de dessin, de cinéma. Pourquoi n’aurions-nous pas ça pour la littérature ? Pour ma part, je m’impose des gammes le matin aux terrasses des cafés en décrivant les personnes autour de moi de plusieurs façons différentes et je sais que cela n’a rien d’inutile, que cela m’apporte dans ma façon d’écrire mes romans, mes albums ou les scénarios de bande dessinée. Un exercice, c’est également ce que je fais lorsque je traduis des romans et c’est ce qui me permet de gagner ma vie. Traduire, c’est écrire des choses que je n’aurai pas écrites. Je décortique l’écriture des autres pour les comprendre, retrouver l’intention de l’auteur. Je m’interroge sur ce que j’y vois, sur les filtres que je dois utiliser pour guider les lecteurs tout en respectant l’univers de l’auteur. Puis je mets en scène. Le traducteur est un auteur. Romain Gary écrivait aussi bien en anglais qu’en français. Pourtant, une fois, il a tenté de traduire l’un de ses propres textes et cela s’est avéré impossible, il n’a pas réussi. On ne peut pas raconter la même chose selon la langue que l’on parle. Alors, il faut faire au mieux.

 

 

© Jules Cantin

Amélie SARN consacre son temps à l’écriture et à la traduction, cachée quelque part dans les méandres du vieux Bordeaux.

Histoire du Prince Pipo, P. Gripari (lecture)

Polina, Bastien Vivès (Lecture & discussion)

Amélie Sarn nous a très gentiment ouvert sa bibliothèque : à vous d’y dénicher des envies de lecture !

Bibliographie sélective de Amélie SARN :

Sacré-Cœur, 6 tomes, Le Lézard noir, 2011-2015 – album

Resurrectio, Seuil Jeunesse, 2014  – roman ado

Les Proies, collection Macadam, Milan, 2013 – roman ado

Clairvoyance, 2 tomes, J’ai lu, 2012-2013 – roman ado

Apolline et le chat masqué, Milan, Prix Tam-Tam 2010 – traduction

Nanami, 5 tomes, Collection Cosmo, Dargaud., 2005 – bande dessinée

Elle ne pleure pas, elle chante, Albin-Michel, 2002 – roman adulte
Adaptation en Bande dessinée, Delcourt, 2003
Adaptation cinématographique, un film de P. de Pierpont, Iota Productions, 2011.

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