Après Marie Cosnay, c’est Jean Harambat, dessinateur et scénariste de bande dessinée, qui nous a fait le plaisir de se joindre à nos voix d’auteurs. Nous l’avons retrouvé sur ses terres landaises, tout au bord des rives de l’Adour, où il nous parle de ses voyages au cœur des livres et nous donne à entendre de ses lectures.

 

Propos recueillis par Romuald Giulivo

 

Dans ton parcours de lecteur, qu’est-ce qui s’est imposé à toi en premier : le texte ou l’image ?

Jean Harambat : J’ai un souvenir très précis où je me revois, enfant, en train d’épeler les mots dans les bulles des albums de Tintin. Ou encore fouiller en secret dans le coffre où mon frère aîné dissimulait les albums de Corto Maltese, feuilleter ces pages en noir et blanc et m’arrêter sur ces femmes au long cou. Toutefois le goût de la lecture est avant tout venu par la littérature, par les histoires que l’on nous lisait le soir. Comme des séries historiques de la collection Rouge et Or, ou encore la mythologie.
Plus tard, lorsque je suis devenu autonome dans mes lectures, je puisais au hasard dans la bibliothèque familiale. J’ai grandi à la campagne, dans une ferme, mais il y avait chez nous beaucoup de livres. Mes parents entretenaient un grand respect pour la culture classique – un respect un peu  désordonné. Les romans de Stendhal côtoyaient une littérature plus anecdotique, comme Le Bossu de Paul Féval que j’ai pourtant lu et relu tant de fois. Je m’étais même procuré les continuations écrites par Paul Féval fils : Les Jumeaux de Nevers, Les Chevauchées de Lagardère… J’ai conservé pendant longtemps un goût prononcé pour les romans d’aventure, qui étaient aussi pour moi des romans initiatiques, une éducation de l’âme chez les meilleurs écrivains. J’avais le sentiment que ces livres étaient une fenêtre valable et apaisante sur ce qui m’attendait une fois adulte, derrière le paysage rural qui m’entourait.

Des années après, tes lectures demeurent-elles tournées vers les classiques ?

J.H. : Pour une grande part, même si j’essaie de ne pas lire que des morts. Le problème est évidemment le temps qui passe et la nécessité de faire des choix. J’ai besoin d’une littérature qui soit en quelque sorte un enseignement sur le lien humain, sur « l’homme nu » comme l’écrivait Simenon. Il y a comme un trésor de sagesse chez les grands écrivains, chez ceux qui ont su capter quelque chose de l’ordre de l’humanité commune. Et chaque fois que je suis tenté de lire une nouveauté, je ne sais pas si je vais trouver ça, si je vais recueillir ce grand profit.
Il m’arrive aussi de lire n’importe quoi !
Par ailleurs, nous sommes entre autres choses les paysages que nous fréquentons ; une certaine littérature de l’espace ne m’a jamais quitté. Je me souviens du coup de massue que fut la lecture des Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë, que notre ambitieuse professeur de français du collège entreprit de nous faire étudier. J’en entends encore le souffle. Tout comme la voix de Jim Harrison dont je lisais les « novellas », adolescent, et qui ne m’a jamais vraiment quitté.
Je me souviens d’avoir joué au rugby à Barcelone avec quelqu’un qui voulait devenir garde-champêtre et qui m’avait avoué sa passion pour Jim Harrison. C’était comme si nous avions découvert une appartenance commune à une société secrète.
Après, j’aime beaucoup quand les choses que je lis se croisent, se réunissent. J’aimais par exemple Une affinité véritable de Saul Bellow, et un jour je lis son dernier livre, Ravelstein, qui est un portrait d’un professeur de philosophie politique, Allan Bloom, lui-même disciple de Léo Strauss que j’étudiais au même moment. J’apprécie ce genre de coïncidences, qui probablement n’en sont pas, et qui me donnent l’impression d’explorer sans le savoir un territoire où les pensées s’imbriquent et se rejoignent.

Es-tu également un gros lecteur de bande dessinée ?

J.H. : J’en acquiers régulièrement, mais elle ne constitue pas l’essentiel de mes lectures. Je regarde évidemment ce qui se fait, j’ai la chance d’avoir un éditeur qui me montre des albums qui peuvent alimenter ma façon de faire de la bande dessinée. Mais il est vrai que, bien souvent, mes goûts et mes inspirations m’amènent ailleurs – ce contre quoi je ne lutte pas, me disant que si je peux amener un peu de cet ailleurs dans la bande dessinée, c’est tant mieux.
En vérité, la bande dessinée s’est construite en grande partie sur deux piliers : la bande dessinée pour la jeunesse, d’une part, et la bande dessinée de contre-culture de l’autre. Tout en reconnaissant les coups de génie d’Hergé ou de Robert Crumb, je cherche dans d’autres directions.
La culture classique, littéraire, demeure primordiale pour moi.
Les grands livres de littérature ont atteint indéniablement un cap d’universalité, pas forcément la bande dessinée. Mais la légèreté de la bande dessinée peut aussi être sa force, et lui permettre d’atteindre avec grâce des rivages inconnus. Il me vient à l’esprit que le capitaine Haddock cite Lamartine dans le Trésor de Rackam le Rouge !

 

Jean Harambat consacre son temps au dessin et l’écriture, quelque part sur les rives de l’Adour.

Jean Harambat nous a très gentiment ouvert sa bibliothèque : à vous d’y dénicher des envies de lecture !

Bibliographie sélective de Jean HARAMBAT :

Ulysse, Éditions Actes Sud

En même temps que la jeunesse, Éditions Actes Sud

Hermiston, Éditions Futuropolis

Les Invisibles, Éditions Futuropolis

Pour en savoir plus :

https://vimeo.com/121120769

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