Winshluss

© Winshluss

Quel lien y a-t-il entre les bandes dessinées de Winshluss et les films de Vincent Paronnaud ? L’auteur, quel que soit son nom, revendique la complexité du monde et celle de l’humain. Créer est son mode d’expression. Par la bande dessinée ou le cinéma, il éclaire, mord, rit et pointe du doigt les violences de la société moderne.

L’histoire avant le dessin

La bande dessinée est le premier mode d’expression vers lequel se penche Winshluss. Enfant et adolescent, il passe son temps à dessiner. Sa scolarité est déplorable, il n’obtient pas son bac et cela lui ferme les portes des écoles d’art. Définitivement déscolarisé, il se met à la musique. Bruitiste plus que musicien, il apprend finalement la guitare et explore les genres musicaux. Son groupe Shunatao signera sept albums chez Amanita Label (Anglet). C’est à cette époque qu’il côtoie Olivier Bernet qui par la suite composera les musiques de ses films. Il reprend le dessin vers vingt-cinq ans. En bande dessinée, il est attiré par l’esthétique et les virtuoses comme Moebius et Corben. Puis il découvre Maüs de Art Spiegleman. Il est fasciné : il trouve tout d’abord le dessin maladroit puis comprend qu’il est là pour servir l’histoire et l’apprécie pour cela. Il remet alors en question sa vision de la bande dessinée. L’histoire passe désormais avant le dessin.

Là où tout commence…

Bien qu’il publie déjà au Dernier Cri ou à L’Association, c’est avec Les Requins Marteaux que tout démarre. En 2002, il prend la direction éditoriale de la maison d’édition avec Cizo et Felder. Portés par une proximité intellectuelle, des références communes et un humour qu’ils partagent, ils s’emparent de cet espace de liberté. Le soutien de Marc Pichelin leur permet d’essayer des choses, de publier le magazine Ferraille, de révéler des auteurs, d’en publier de plus connus. Winshluss passe l’essentiel de son temps à coordonner et organiser ce joyeux chaos. « De l’extérieur, cela paraissait désinvolte alors que cela ne l’était pas du tout. Quand tu viens du fanzinat, cela te rend philosophe. Il faut durer, ne rien lâcher. Beaucoup se fatiguent. Mais c’est évident qu’il y a vingt-ans, les éditeurs indépendants ont ouvert des brèches : permettre par exemple aux auteurs de publier une bande dessinée dont le nombre de pages était adapté à leur projet, c’était une révolution. »
Le cercle d’auteurs réunit autour des Requins Marteaux se pose en trublion et le magazine Ferraille devient un miroir de son temps en montrant ce que l’ultralibéralisme impose au monde. « La force du capitalisme, c’est qu’il se relève toujours. On nous fait croire qu’il n’y a pas d’autres systèmes possibles, que l’on ne peut pas faire autrement. Ce système crée de la misère et de la violence et c’est effarant. Aujourd’hui encore, c’est la politique de la terre brûlée. »

De l’image fixe à l’image animée

Winshluss réalise son premier court-métrage avec Cizo en 2003. Raging Blues est produit par Je suis bien content (qu’il embarque avec lui quelques années plus tard sur Persépolis). Abordant sans détour la violence de la société de consommation, le film est primé à deux reprises. Winshluss est lancé et enchaîne les courts-métrages d’animation et en prise de vue réelle. En 2007, il réalise son premier long métrage d’animation, Persépolis, avec Marjane Starapi, auteure de la bande dessinée éponyme.

« Je viens d’un milieu modeste, je pensais que pour moi, c’était foutu. J’avais besoin de m’exprimer et c’est devenu possible. »

En parallèle, il prépare Pinocchio, un livre ambitieux traitant de la mondialisation, faisant référence au film de Walt Disney, le premier film qu’il a vu enfant au cinéma avec sa mère et qui l’a traumatisé. Winshluss ne dit pas ce qu’il faut penser ou croire, il ouvre le regard et la pensée. Il replace les choses dans une histoire et un contexte. « L’individu est en conflit avec lui-même et avec le monde. Mais pour parler bien de son village, il faut parler de soi, savoir qui l’on est et d’où l’on vient. L’humain est complexe, le monde aussi, pourtant, il n’y a plus de réflexion, seulement des réactions, ce qui est mortifère et angoissant. L’humain fait des conneries et oublie. Il n’y a plus de regard historique. Alors, c’est comme si rien ne servait à rien ».
Persépolis est récompensé par le prix du Jury du festival de Cannes et par le César du meilleur premier film et de la meilleure adaptation en 2008. Pinocchio sort la même année et reçoit en 2009, le Fauve d’or du meilleur album du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême. Cette reconnaissance, Winshluss en est heureux, il préfère que « cela marche » parce que cela lui permet de faire autre chose. Mais il n’exploite pas le filon et refuse de s’enfermer dans un registre. Il ne veut pas faire semblant. Il a l’exigence de faire bien, tant qu’il y a un minimum d’intensité.

La création, un instinct de survie

Winshluss a conscience que la création est un instinct de survie. « Je viens d’un milieu modeste, je pensais que pour moi, c’était foutu. J’avais besoin de m’exprimer et c’est devenu possible. »  Écrire un scénario de bande dessinée ou de film, cela ne fait aucune différence, mais il sait dès le départ s’il écrit pour une bande dessinée ou un film et que pour bien faire, il doit comprendre les rouages de chaque support. Autodidacte, il n’est pas théorique, il aime se confronter à l’aspect pratique et physique de la création. Face à une ou plusieurs problématiques qu’il s’inflige, il s’attache à trouver des solutions qui lui permettront d’arriver à ses fins. Il apprend dans l’urgence, en regardant les autres. Il comprend que les apprentissages techniques sont nécessaires, qu’arriver avec une idée n’est pas suffisant pour mener à bien un projet. « Il faut que je connaisse précisément comment les choses se passent pour y arriver parce que mes projets sont sur la corde. Alors, je m’entoure des meilleurs. Les meilleurs, ce sont ceux qui sont bons dans quelque chose en particulier, mais qui s’intéressent à d’autres choses, qui ont une culture étendue. »
Le processus de création est laborieux, il prend du temps. Winshluss réfléchit, digresse et jette beaucoup. « Je déteste l’efficacité, produire pour produire ne m’intéresse pas. Il y a des phases ou je peux produire beaucoup et souvent s’enchaînent des phases où je ne produis plus. Et parmi ce que je fais, il y a des choses inutiles, mais j’ai besoin de les faire. J’aime ce sentiment lorsqu’un livre, un film, m’apporte un éclairage. C’est pour ça que j’aime les auteurs, pour le prisme à travers lequel ils nous montrent les choses, pour l’importance du détail. » Le style l’ennuie, alors il explore ailleurs et décale son regard en permanence. « Être auteur, c’est se mettre en porte à faux en permanence, ne pas s’endormir et pour cela, changer de registre, de graphisme, pour éclairer différemment à chaque fois. »

Une vision du monde

Winshluss porte sa vision du monde et exprime sa colère à travers ses livres et ses films. Il parle de choses ambiguës et complexes en utilisant l’humour, des codes et des clichés propres aux genres qu’il affectionne. Il ponctue ses histoires d’obsessions ou de névroses nées de traumatismes qui renvoient à des évènements marquants de son parcours d’humain : les accidents de voiture, la pendaison, le suicide… Des références à la religion se retrouvent également dans ses œuvres. Issu d’une famille d’athées, il s’y est intéressé pour comprendre la manière de penser du monde occidental.

« Être auteur, c’est se mettre en porte à faux en permanence, ne pas s’endormir et pour cela, changer de registre, de graphisme, pour éclairer différemment à chaque fois. »

Dans Cosmogonie, le thriller sur lequel il travaille actuellement, la nature et la civilisation s’affrontent, chacune représentée par un personnage : un homme maniaque qui dit aux gens ce qu’ils veulent entendre et une femme qui s’oppose à lui et se révolte. L’un est le bourreau, l’autre la victime, mais Winshluss sème la confusion en inversant les rôles, montrant ainsi que les choses ne sont jamais si simples.
Dans ses histoires, il n’aborde jamais la violence de manière frontale. Il prend un contre-pied et l’assaisonne d’humour. Que ce soit en bande dessinée ou en cinéma, si le pourquoi vient comme le point de départ d’une histoire, c’est avant tout le cheminement qui importe, et rien d’autre.

 

 

Bibliographie sélective

Smart Monkey, Cornélius, 2004

Pinocchio, Les Requins Marteaux, 2008

Dans une forêt sombre et solitaire, Gallimard Jeunesse, 2016 — Pépite d’or du Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil

Filmographie sélective

Raging Blues, co-réalisation Cizo, Je suis bien content, 2003

Persépolis, co-réalisation Marjane Satrapi, d’après la bande dessinée éponyme, Diaphana Distribution, France 3 Cinéma, The Kennedy/Marshall Company, French Connection Animations, 2.4.7 Films, 2007

Territoires, Kidam, 2014

 

 

RETROUVEZ L’ARTICLE DANS LE N°13 de ÉCLAIRAGES, LA REVUE PAPIER D’ALCA NOUVELLE AQUITAINE

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