C’est dans les étages baroques de la Maison Demons à Bordeaux, où elle partage avec d’autres auteurs de bande dessinée un atelier mis à disposition par la mairie de la capitale girondine et géré par l’association 9-33, que nous avons dérangé Laureline Mattiussi à sa table de travail. Tandis qu’Adrien Demont, dessinateur, noircit ses pages à la craie, Laureline évoque son rapport à la lecture qui, si elle semble le trouver au prime abord anodin, se révèle en vérité terriblement organique. Et jouissif, forcément

 

Propos recueillis par Romuald Giulivo

 

Toi qui es dessinatrice, mais scénarises également un certain nombre de tes albums, comment s’est fait ton entrée en lecture : d’abord par le texte ou par l’image ?

Laureline Mattiussi : Aussi loin que je me rappelle, je ne crois pas avoir jamais fait de distinction. Un livre, avec ou sans images, a toujours été pour moi avant tout un livre. Je n’ai de toute façon pas de premier souvenir très net de lecture, qui serait lié à l’enfance ou l’adolescence. Je sais juste que j’ai toujours lu. Beaucoup et de tout, autant du roman que de la bande dessinée notamment. Je ne suis pas de ces gens qui ont été boulimiques d’un certain type de lectures à une période de leur vie, ou pour qui tout s’est joué avec la rencontre d’un livre donné, un choc littéraire extrêmement fort qui aurait ouvert une porte – même si des chocs littéraires, notamment à l’adolescence, j’en ai eu évidemment.

Je n’ai pas connu de moment de révélation. Je sais simplement que la lecture a toujours joué un rôle important et quotidien. Il m’était par exemple, à l’époque où j’étais lycéenne en internat, impossible de m’endormir sans avoir lu un peu, et ce quelle que soit l’heure à laquelle je me couchais. Même si mes souvenirs sont flous, j’ai l’impression que la lecture a toujours était là, présente. Comme une évidence, quelque chose de l’ordre naturel au même titre que boire ou manger, un élément primordial et constitutif de la vie.

Et aujourd’hui alors, maintenant que tu fabriques des livres, quel type de lectrice es-tu ?

Laureline Mattiussi : Je n’ai jamais analysé comment je me positionne en tant que lectrice, même aujourd’hui que je suis également auteur. En vérité, je n’ai pas le sentiment d’avoir foncièrement changé. Je continue de glaner mes lectures, de me laisser porter par les découvertes et les surprises – un peu sûrement comme lorsque j’étais plus jeune et puisais sans réfléchir des ouvrages dans la bibliothèque familiale. Ce n’est pas par exemple parce qu’un livre me touche particulière que je vais, comme certains de mes camarades et dans une envie que je peux comprendre, avoir le réflexe d’explorer toute la bibliographie de l’auteur. Je reste dans un rapport que l’on pourrait sûrement qualifier de dilettante. Je passe d’une lecture à une autre sans qu’il y ait forcément de lien évident ou logique dans ce chemin. Peut-être simplement que, ce que je peux trouver dans un livre suffit à me nourrir, m’émerveiller ou me bouleverser.

Adrien Demont relève la tête de son dessin et intervient : C’est drôle, c’est quasiment ce que dit Roland Barthes, je crois. Il dit quelque part – ce qui personnellement m’a beaucoup rassuré en tant que lecteur – que nous ne sommes pas forcés de lire un livre en entier, que nous pouvons trouver un écho suffisant dans quelques pages, quelques phrases.

Tu lis quand même beaucoup de polar, non ?

Laureline Mattiussi : Oui, j’ai toutefois de temps en temps mes périodes. Plus jeune, j’ai été fascinée par la littérature sud-américaine, puis russe. Il est vrai que, depuis plusieurs années, je suis assez friande de polar. Parce que je viens de sortir un roman graphique sur cet univers et que j’ai eu besoin de m’y plonger. Et puis aussi parce que, malgré tout, un livre en amène parfois un autre. Dans un rapport de collection, d’affiliation par exemple. Mais là aussi, je n’y vois pas forcément autre chose que des suites de hasard. J’aime je crois dans le polar un certain rapport assez tranché et étudié à la narration. La narration, que ce soit d’ailleurs dans le roman ou la bande dessinée – que je lis assez peu, je dois l’avouer – est ce qui me fait venir à un livre.

Souvent, quand on me demande vers quel domaine j’aurais pu me tourner si je n’avais pas fait de la BD, les gens pensent dans un rapport qu’ils pensent évident à la peinture. Sauf que je me sens plus proche de l’écrit, pour son lien à la narration, qu’elle soit dans un texte ou dans une image. La peinture, c’est autre chose, ce n’est ni illustratif ni narratif. Quelque part, je crois que je serais plus à même d’écrire un roman que de composer une toile. Un roman noir probablement…

crédits photos : Lou Lbr

Laureline MATTIUSSI a sorti sa première bande dessinée (Petites hontes enfantines), aux éditions La Boîte à Bulles, un diptyque (L’île au poulailler, Treize Étrange) qui reçoit le prix Artemisia 2010, puis La Lionne, avec Sol Hess au scénario et Isabelle Merlet aux couleurs. Son nouvel album (Je viens de m’échapper du ciel, Casterman) est une adaptation en noir et blanc de nouvelles de l’auteur de polar Carlos Salem

Laureline Mattiussi  nous a très gentiment ouvert sa bibliothèque : à vous d’y dénicher des envies de lecture !

 

Bibliographie sélective :

  • Cocteau, l’enfant terrible, Casterman, 2020.
  • Je viens de m’échapper du ciel, Casterman, collection Écritures, 2016.
  • La Lionne, livre 1 (Pedicabo ego vos et irrumabo) et livre 2 (Odi, amor et excrucior). Scénario de Sol Hess, couleurs d’Isabelle Merlet. Treize Etrange/Glénat, 2012 et 2013.
  • LÎle au poulailler, tome 1 et 2. Couleurs d’Isabelle Merlet. Treize Etrange/Glénat, 2009 et 2010. Prix Artemisia 2010, sélection officielle du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême 2010.
  • Petites hontes enfantines, La Boite à Bulles, 2006.
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