Pablo

Pablo


Pablo est un album jeunesse écrit et illustré par Rascal, publié pour la première fois en 2019 à L’École des loisirs, dans la collection « Petit loulou ». Il paraît aujourd’hui dans une version adaptée pour les personnes déficientes visuelles grâce à Mes Mains en or, une maison d’édition de Limoges spécialisée dans ces adaptations.

Pablo vit dans un œuf, il y passe sa dernière nuit. Au lever du jour, Pablo prend des forces car le temps est venu pour lui de sortir de sa coquille. Comme il a un petit peu peur, il commence à percer deux petits trous pour voir à quoi ressemble le monde du dehors. Puis il en perce deux autres encore, pour entendre les bruits. Puis il en perce un cinquième pour sentir les parfums. Après avoir vu, entendu et senti le monde du dehors, Pablo a envie de s’y balader alors il perce deux trous pour ses pattes. Maintenant, Pablo a envie de voler, alors il perce deux nouveaux trous pour ses ailes. Pablo s’envole, il n’a plus peur, il est temps pour lui de se débarrasser de sa coquille mais il en garde un petit bout, pour les jours où il en aurait besoin.

Rascal est un auteur-illustrateur originaire de Belgique. Il fait partie des auteurs importants de la littérature jeunesse contemporaine francophone. Rascal a exercé plusieurs métiers avant de se tourner vers la littérature jeunesse et de s’y consacrer entièrement. Bien qu’il signe certains albums seul, il écrit le plus souvent pour d’autres artistes tels que Stéphane Girel, Régis Lejonc, Édith, Peter Elliott ou Mario Ramos. L’ensemble de son œuvre a été récompensé par le Grand Prix triennal de la littérature de jeunesse de la Fédération Wallonie-Bruxelles en 2009-2012. Rascal n’écrit pas pour dire ou raconter, il écrit pour transmettre une émotion, il écrit des histoires d’enfance. Alors, nous y trouvons de la tendresse, de la poésie, parfois un soupçon de cruauté. Sa langue est exigeante, juste et simple, sans simplisme car, pour Rascal, s’adresser à des enfants ne signifie pas qu’il faille appauvrir la langue, bien au contraire.

Pablo ne fait pas exception. De ce récit évoquant la « naissance » de Pablo, Rascal propose une histoire dont la force est basée sur la simplicité du propos et où la complexité se joue dans les interprétations que chacun peut en faire. La découverte du monde par Pablo se fait par étapes et par les sens. Il s’agit de sa propre façon de découvrir le monde avec ce qu’il a en sa possession. En cela, Pablo est un livre universel. Mais s’extraire de sa « coquille » nécessite une capacité à se faire confiance et à faire confiance à ce monde et aux promesses qu’il nous fait. Alors, la peur que ressent Pablo avant de sortir de l’œuf est légitime. Alors, que Pablo garde un morceau de sa coquille « au cas où » est légitime. Car malgré la confiance et les promesses, nous ne sommes jamais à l’abri des intempéries. L’idée qui prédomine dans cet album est bien que la peur de l’inconnu se surmonte. Prendre des risques, c’est se donner la possibilité de découvrir la beauté du monde. Alors Pablo peut tenter l’aventure d’autant que Rascal le rassure : il y aura toujours un morceau de coquille pour le protéger. Pablo sait d’où il vient.

« Le livre ainsi mis en forme permet une expérience de lecture partagée, que ce soit entre enfants ou entre enfants et adultes. »

L’adaptation de Pablo pour des lecteurs déficients visuels respecte la version originale, bien qu’elle ait nécessité un travail sur la mise en forme. Fondée en 2010 à Limoges, l’association Mes Mains en or a fait de sa spécialité l’édition de livres tactiles afin de rendre l’album illustré et les livres jeunesse accessibles aux enfants déficients visuels, quelles que soient les spécificités de leur déficience. Caroline Chabaud est à l’origine de ce projet éditorial qui défend la qualité artistique des œuvres. Ainsi, les livres sont pensés : ils sont composés d’éléments manipulables, d’un texte en braille et d’un texte en gros caractères qui, tout comme les images contrastées, permettent de stimuler les restes visuels des malvoyants. La reliure en spirale permet de mettre le livre à plat afin de libérer les mains pour faciliter la lecture et explorer les images tactiles. Le livre ainsi mis en forme permet une expérience de lecture partagée, que ce soit entre enfants ou entre enfants et adultes.

L’adaptation de Pablo a bénéficié de cette réflexion sur la conception. Ainsi certains éléments des illustrations en relief, le choix des matières, le texte en gros caractère et sa traduction en braille permettront à de nouveaux lecteurs de découvrir ou redécouvrir cette œuvre si touchante de Rascal : la promesse de beaux moments de lecture partagée.

 

Pablo
Texte et illustration de Rascal
Conception des images tactiles : Astrid Biret et Laurine Bergeon
Collection Tactibraille
Éditions Les Mains en or

Pablo de Rascal, collection « Petit loulou », L’École des loisirs, 2019

par L.B.


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Le livre jeunesse : un objet politique

Le livre jeunesse : un objet politique

 

Depuis 1998, Thierry Magnier trace le sillon d’une littérature jeunesse exigeante dans un paysage éditorial français de plus en plus frileux, où les grandes maisons ont tendance à se retrancher derrière l’achat de licences étrangères. Souvent en première ligne pour défendre une littérature que certains voudraient moralisatrice et pédagogique, il continue de défendre avec passion sa vision du métier d’éditeur jeunesse et partage les raisons de ses choix.

D’après vous, pourquoi ces derniers temps la radicalisation du discours politique et sociétal s’exprime-t-elle notamment contre la littérature jeunesse ?
Thierry Magnier : Sûrement parce que les politiques actuels estiment les enfants sacrés. Et parce qu’ils ont peur. Pour eux, les enfants doivent entrer dans un moule, suivre une moralité et surtout être obéissants, dociles. Parce qu’ils sont le peuple à venir et que, un peuple qui réfléchit, cela dérange. Le phénomène n’est pas non plus nouveau. Pour moi en tout cas, tout a commencé il y a une vingtaine d’années, dès les premières publications de la maison, notamment avec un livre de Christophe Honoré sur l’homoparentalité1. Déjà à cette époque, il y avait eu quelques remous. Mais rien à voir il est vrai avec le cirque qui s’est déchaîné autour de Tous à poil2. On a eu l’impression que tout à coup un livre jeunesse, qui pose simplement un regard décomplexé et humoristique sur la nudité, était pris en otage pour tenter de mettre le feu au pays. Un livre que personne n’avait lu à l’époque, car j’avais dû en vendre à peine 700 exemplaires en 3 ans…
Je n’ai alors pas compris, et je ne comprends toujours pas la raison de tout ce raffut. La nudité, le corps, ou même la sexualité m’ont toujours paru des sujets éminemment importants, des sujets à aborder en littérature jeunesse afin de permettre aux enfants de se construire. J’ai toujours traité ces sujets. Certains prétendent, de façon pernicieuse, que c’est mon fonds de commerce — comme lors de la récente mésentente avec la direction des affaires scolaires de Paris autour du Dictionnaire fou du corps de Kathy Couperie —, mais je trouve cela grossier et surtout inepte. Il me semble important que ces livres pour la jeunesse existent, et dangereux que certains imaginent les interdire. Pourquoi alors ne pas interdire également la parution du Larousse illustré et ses planches d’anatomie, ou la visite de la chapelle Sixtine ?

 

« la méfiance vient de plus en plus des parents eux-mêmes, de l’importance démesurée qu’ils accordent à l’éducation de leurs enfants »

 

Christian Bruel, fondateur des éditions Le sourire qui mord, publiaient déjà des albums jeunesse anticonformistes, notamment sur la question du genre. Comment se fait-il que, quarante ans plus tard, on en soit toujours au même point d’incompréhension ?
T.M. : Je me pose régulièrement cette question, et je ne trouve pas de réponse simple. Sinon qu’une poignée de gens, ayant le pouvoir et l’argent, ont décidé de construire un monde à leur image. Un monde policé et normatif. J’ai par exemple ressorti il y a deux ans l’Histoire de Julie qui avait une ombre de garçon3, l’un des premiers ouvrages parus au Sourire qui mord. J’ai alors demandé à Christian Bruel d’imaginer comment il traiterait la même question aujourd’hui, et cela a donné naissance à D’ici-là, une utopie positive sur le genre illustrée par Kathy Couperie. Eh bien malgré tous nos efforts pour communiquer autour de l’ouvrage, malgré la renommée des auteurs ou encore une actualité en phase, personne n’a parlé de ce livre, certes un peu exigeant graphiquement, mais réellement splendide. C’est à n’y rien comprendre.

N’êtes-vous pas dérangé que votre travail — celui d’un éditeur exigeant qui publie dans l’intention d’éveiller ses lecteurs — soit aujourd’hui vu avant tout par certains comme un acte militant ?
T.M. : Cela m’énerve, évidemment. On me prend souvent pour un éditeur qui fait des bons coups ou qui aime se faire remarquer. Alors que ma politique éditoriale n’a jamais changé. J’ai toujours travaillé pour offrir les meilleurs livres possible aux enfants. Parce que j’ai le sentiment qu’un enfant est un être humain à part entière, parce qu’il est intelligent et qu’on peut lui parler de toutes les choses qui l’entourent.
En vérité, la méfiance vient de plus en plus des parents eux-mêmes, de l’importance démesurée qu’ils accordent à l’éducation de leurs enfants. Ils veulent les protéger de tout. Les gamins n’ont plus le droit d’avaler du lactose, du gluten… alors feuilleter un livre sur le corps, je ne vous en parle même pas. Je me souviens ainsi d’une discussion avec une documentaliste qui avait pris la parole lors d’une journée de formation avec des bibliothécaires où j’intervenais. Elle avait avoué ne plus commander pour son CDI les livres de ma maison d’édition. Elle suivait et appréciait nos parutions depuis des années mais, à un an de la retraite, elle se disait fatiguée de devoir affronter les représentants de parents d’élèves ou sa hiérarchie dès qu’elle proposait l’un de nos ouvrages à la lecture. C’est somme toute ahurissant. Je ne sais pas où va le métier d’éditeur. Un éditeur, c’est avant tout quelqu’un qui prend des risques. Contrairement à certains de mes confrères, je me moque au fond de ce que veulent lire les enfants ou les adolescents. Je veux être force de proposition, les mener vers d’autres rivages.

Quels sont les sujets, traités par la littérature jeunesse d’aujourd’hui, qui vous semblent clairement politiques ?
T.M. : Tous les sujets sont politiques lorsqu’ils sont traités avec talent. Un bon livre est forcément politique. S’il existe, s’il n’est pas un ventre mou, il prend forcément position, quelle que soit la question traitée. Un livre est un objet politique, comme aurait probablement pu le dire Marguerite Duras. Et sinon la politique, en jeunesse, c’est peut-être au final de parler d’un sujet qui ne semble pas au prime abord destiné aux enfants. Après, les incompréhensions et les tensions qui en découlent viennent du regard détestable posé sur le livre de jeunesse. Son manque de reconnaissance et l’incapacité patente à le faire accepter comme une littérature. Ne devrait-on pas ainsi surtout se rappeler que nous formons les lecteurs de demain, nous les préparons aussi à aller vers des livres complexes, exigeants et stimulants pour la pensée. Franchement : peut-on imaginer réaliser cette tâche immense en ne proposant que des histoires fades et normées ?

Est-ce que, quelque part, nous n’infantilisons pas les enfants ?
T.M. : Très probablement. Je pense par exemple à Marguerite Duras, dont toute l’œuvre réserve une place cruciale à l’enfance. Duras n’a jamais pris les enfants pour des imbéciles. Son unique album jeunesse, Ah Ernesto !4, le montre de façon flagrante. J’ai vu en me rendant à l’IMEC5 les piles de manuscrits par lesquels elle est passée pour écrire ce livre, ce petit conte comme elle l’appelait. Je suis un fan de Duras et je suis très heureux d’avoir pu republier ce livre. Cette histoire d’un gamin qui ne veut plus aller à l’école parce qu’on lui y apprend des choses qu’il ne sait pas, c’est pour le coup un vrai livre politique pour la jeunesse. Prenez par exemple la scène où le maître d’école montre un papillon épinglé dans boîte vitrée et demande ce que c’est. Ernesto répond alors : « c’est un crime ». Magnifique, n’est-ce pas ?

1 Je ne suis pas une fille à papa, C. Honoré, Thierry Magnier, 1998
2 Tous à poil, Claire Franek et Marc Daniau, éditions du Rouergue, 2011
3 Histoire de Julie qui avait une ombre de garçon, Christian Bruel et Anne Bozellec, Le sourire qui mord, 1980
4 Ah ! Ernesto a été publié chez Harlin Quist/Ruy-Vidal en 1971. L’ouvrage est réédité en 2013 aux éditions Thierry Magnier (illustrations : Kathy Couperie), accompagné d’un album intitulé Ah ! Marguerite Duras, qui retrace l’aventure éditoriale de ce conte
5 Institut Mémoires de l’édition contemporaine.

par R.G.

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