Lucile Gomez

Lucile Gomez

Quand en bas de la rue le soleil se reflète sur l’Adour, Lucile Gomez accoudée à la fenêtre de son appartement bayonnais brille elle aussi d’une belle lumière. Une lumière franche, espiègle, qu’elle sait infuser avec talent dans son dessin ou ses dialogues toujours légers, drôles et percutants. Une lumière, une poésie que l’on retrouve avec plaisir quand il s’agit d’évoquer avec elle son rapport à lecture.

 

Propos recueillis par  Romuald Giulivo

 

Le livre est arrivé comment dans ta vie : par le texte ou par l’image ?
Lucile Gomez : Autant que je me souvienne, je n’ai jamais fait de distinction entre les deux. Ce qui comptait pour moi avant tout étant enfant — et compte encore en premier lieu — c’étaient les histoires. Ma relation à la lecture s’est construite de façon très organique, texte et illustrations ne faisant qu’un au service des récits.
Et même aujourd’hui que je suis autrice, je n’ai jamais eu un rapport obsessionnel au livre. Il n’est pas sacré pour moi, c’est juste un objet parmi tant d’autres, un objet tout aussi intéressant, riche ou encombrant que plein d’autres. Ma mère était enseignante de français, il y a donc toujours eu des bouquins à la maison, c’était quelque chose de normal, c’était beaucoup de livres de poche qu’on pouvait faire traîner, corner ou annoter à loisir. Je ne suis pas très attaché à leur possession, j’ai longtemps beaucoup déménagé et mis des années à avoir un truc qui ressemble à une bibliothèque.
J’ai toujours lu et aimer lire, mais au final, la lecture a surtout creusé son nid dans les moments d’ennui, les périodes — notamment l’adolescence — où il était moins facile d’aller vers les autres. Sinon, je dois avouer que je préfére le monde tangible, un monde grouillant d’aventures, plein de bruits et de fureur.

Te souviens-tu du premier livre qui a vraiment compté pour toi ?
Lucile Gomez : Gaston Lagaffe, bien sûr, mais peut-être plus au niveau de ma pratique, du métier qui allait devenir le mien des années plus tard. Je me souviens évidemment, comme beaucoup de mes camarades auteurs, avoir pastiché Franquin, avoir réalisé mes premières planches de BD sous forme de gags en une page.
Ensuite, il y a surtout une vieille version illustrée — et probablement abrégée, je suppose — des Aventures de Tom Sawyer. Ce texte m’a longtemps accompagnée. Je m’identifiais complètement au personnage, parce que comme lui j’aimais jouer dans les arbres, marcher pieds nus, je rêvais d’être un pirate ou de sécher l’école. Pour moi, la ressemblance était même physique : je trouvais à travers les illustrations qu’on avait quasiment la même tête, la même non-coupe de cheveux dont j’étais affublée à cet âge (rires). Ce sentiment était si fort que je ne me souviens même pas m’être interrogée sur l’étrangeté de s’identifier à ce point à un garçon. Je suppose qu’il y avait quelque chose qui allait de soi, qui allait avec le fait de lire des livres dont les auteurs au final, dans leur grande majorité, étaient des hommes.

Tu penses que les histoires ont un genre ?
Lucile Gomez : Les histoires ou les livres, je ne sais pas. Mais le monde autour, évidemment. Le monde dans lequel les auteurs écrivent, à une époque donnée, l’est forcément et cela a une influence. Sur les caractères des personnages, leur vision, les rapports qu’ils ont aux autres et aux grandes questions : la politique, la sexualité, etc. Et ce jeu d’influences ressurgit par conséquent sur le lecteur. Moi par exemple, j’avais vraiment l’impression d’être Tom Sawyer. Et puis à un moment donné, les autres et mon corps m’ont renvoyé au fait que ce n’était pas acceptable : je ne pouvais plus être un garçon.
Quelque part, cette incompréhension a même perduré au-delà de l’adolescence, elle m’a suivie des années plus tard lorsque j’ai débuté dans la bande dessinée. C’est en vérité en faisant des histoires, en les montrant, en les publiant, que je me suis rendu compte que j’étais une femme. Cela a été déstabilisant d’ailleurs. Tout le monde me disait que mes albums étaient très féminins, mais je n’avais jamais réfléchi à cela, je n’avais jamais conçu ou positionné mon travail sous cet angle. Je ne comprenais pas et je n’aimais pas que l’on me ramène à ça, comme si je me résumais à une simple assertion, celle d’être une femme qui fait de la BD.

Du coup, ta pratique d’autrice a-t-elle changé ton rapport à la lecture ?
Lucile Gomez : Oui, progressivement. Une fois passés les vains questionnements sur la légitimité de mon travail, à me demander pourquoi il serait vraiment moins intéressant de raconter sa vie, ou le quotidien, quand on est une femme que quand on est un homme, je me suis tournée vers des autrices, tant pour découvrir des œuvres que pour y chercher un soutien, une compagnie afin de me sentir moins cataloguée. J’avais inconsciemment besoin, je pense, de rééquilibrer ma vision du monde.
C’est assez récent, encore flou, bordélique comme démarche et clairement pas méthodique. Je vais voir du côté de Colette, Despentes ou Woolf, sans distinction notamment entre classiques et modernes. Je prends ce qui vient, ce que l’on peut me suggérer dans une discussion, un article de journal ou une émission. J’ai quand même conservé ce côté très dilettante de Tom Sawyer : je continue en toutes choses d’avancer sur des chemins de traverse et le nez au vent.

crédits photo : Chloé Vollmer-Lo

Lucile Gomez consacre son temps à l’illustration et au dessin, quelque part sur les bords de l’Adour.

Lucile Gomez nous a très gentiment ouvert sa bibliothèque : à vous d’y dénicher des envies de lecture !

Bibliographie sélective de Lucile Gomez :

Bonjour l’angoisse, éditions Vraoum

Tout est possible mais rien n’est sûr, éditions Delcourt

Tea for two (deux tomes)éditions Le Lombard

Pour en savoir plus :

Son blog

Régis Lejonc

Régis Lejonc

Régis Lejonc a été révélé par les éditions du Rouergue au début des années quatre-vingt-dix. Illustrateur, auteur, directeur de collection, il a réalisé plus de soixante ouvrages de littérature de jeunesse. Il partage depuis de nombreuses années l’atelier Flambant neuf, avec les auteurs Alfred et Richard Guérineau. C’est non loin de son atelier au cœur de Bordeaux, sur la place du Palais, qu’il nous parle de son rapport au livre et à la lecture.

Propos recueillis par  Lucie Braud

Quelle est votre lecture du moment ?

Régis Lejonc : En ce moment, je ne lis pas ou seulement des albums jeunesse. Depuis deux-trois ans, je lis quand je suis en vacances, c’est mon activité de repos, et je n’ai pas pris de vacances depuis deux ans. C’est pendant mes vacances que j’ai la disponibilité d’esprit pour la lecture. Le dernier livre que j’ai lu est le prix Goncourt, L’Ordre du jour d’Éric Vuillard, qui raconte l’orchestration de l’invasion de l’Autriche par Hitler et sa politique d’intimidation. J’ai lu égalementLe Garçon de Marcus Malte, il y a quelque temps.

Comment faites-vous vos choix de lecture et qu’attendez-vous des livres ?

R.L. : Ce sont les libraires qui me conseillent, je leur fais confiance. Et puis lorsque je rencontre des auteurs sur les salons et que je les entends parler d’un livre qu’ils ont aimé. Je ne suis jamais déçu. Il y a longtemps qu’un livre ne m’est pas tombé des mains. Je lis beaucoup d’albums jeunesse et j’en achète beaucoup. Moins qu’avant cependant, parce que je suis plus exigeant et je n’achète désormais que les livres que je veux avoir. Il faut que le livre me plaise intégralement. La dernière « claque » que j’ai eue, c’est Entre les ogres, de Thierry Dedieu d’après un texte de Gilles Baum. Cela parle de la parentalité. Un ogre et une ogresse découvrent un bébé humain sur le pas de leur porte. Ils l’élèvent, mais ne lui donnent pas à manger ce qu’ils mangent — parce qu’ils mangent des enfants. Peu à peu, l’enfant se sent exclu et les parents ogres décident de lui dire d’où il vient. C’est un livre stupéfiant.
Il y a aussi Un grand jour de rien, de Beatrice Alemagna, un chef d’œuvre. Une mère et son fils partent en week-end dans la maison familiale. Le jeune garçon part en promenade dans la nature après avoir perdu sa Gameboy. Après cette balade, son regard sur sa mère a changé. C’est un livre qui te laisse dans un joli état.
J’attends des livres puissants. Je ne veux plus me contenter d’un livre juste joli, je veux qu’il soit porteur de cette puissance. Dans Le Garçon de Marcus Malte, il y a parfois un peu d’ennui. Pour un tel livre, une puissance permanente est impossible, car le moment d’ennui permet la fin. J’aime aussi cela. Il y a aussi le roman d’Alex Cousseau, Le fils de l’ombre et de l’oiseau. J’aime énormément le travail de cet auteur. Ce roman est estampillé « jeunesse », mais il ne s’adresse pas qu’à la jeunesse. J’aime sa façon d’envisager la narration. Il n’y a jamais de méchants, ça n’existe pas chez Alex Cousseau ! C’est pourtant un roman d’aventures avec beaucoup de poésie, de magie, d’images. Ça m’a fait penser à Cent ans de solitude de Garcia Márquez. Il parle de transmission, de ces histoires que nous devons porter même si elles ne sont pas directement notre propre histoire.

 Comment vos lectures influencent-elles vos illustrations ?

R.L. : Mes influences viennent de l’image. C’est une sensibilité qui remonte à l’enfance. Il existe un livre déterminant pour chacun. Le Maître et Marguerite, de Mikhaïl Boulgakov a été un de ces livres déterminant pour moi lorsque j’ai eu dix-neuf ans. J’ai toujours en tête l’idée de pouvoir l’illustrer un peu à l’ancienne, comme au XIXe siècle. Ce livre a les ingrédients qui me plaisent : le fantastique poétique. Il y a une sorte d’étrangeté qui génère plus de la curiosité que de la peur. Après la Révolution russe, le diable arrive à Moscou sous la forme d’un homme. Il est magicien et il est accompagné d’un sbire à la chevelure rousse et d’un gros chat qui parle. Boulgakov a mis vingt-cinq ans à écrire ce livre et c’est une œuvre inachevée. Il a réussi à contourner la censure, à louvoyer. J’ai lu beaucoup de choses sur lui. Je pourrai mettre à ses côtés John Fante ou Garcia Márquez.
Il y a aussi une influence que j’ai retrouvée très tard. Cela fait parti des images traumatiques, celles qui marquent et pour moi, ce sont les images d’Ivan Bilibine. Je l’ai découvert lors de la réédition de contes traditionnels réécrits par Luda. Bilibine les a illustrés sous l’influence du courant Art déco russe. C’est un dessin somptueux, dans le trait, la mise en couleur. J’avais dix ans quand j’ai découvert son travail par le biais de ma grand-tante qui récupérait des livres. Je n’ai pas lu les contes, mais j’ai regardé les images. Le temps est passé et je les ai oubliées. Une fois devenu illustrateur, je suis tombé sur une réédition de Bilibine parue aux éditions du Sorbier. Cela a provoqué chez moi une grande émotion. Récemment, j’ai illustré un conte de Franck Prévot et j’ai « fait » mon Bilibine à ma petite échelle, ce que j’avais déjà fait pour le Bestiaire fabuleux (texte de Maxime Derouen, éd. Gautier Languereau). Bilibine a une justesse de l’image. Il était habité par les histoires qu’il illustrait.

Vos exigences de lectures engendrent-elles une exigence dans votre travail de création ?

R.L. : Je n’ai aucune prétention, mais il y a une chose que je sais : faire de mon mieux à chaque fois avec les moyens que j’ai sur le moment. Dans le champ artistique qui est le mien, j’ai l’impression que l’on progresse toute notre vie. Cela me fascine, car cela ouvre des possibles que je me serais interdits avant. Plus j’avance dans ma capacité à comprendre le dessin, plus j’avance vers ce dont je rêvais quand j’étais petit. Alors, je pourrais peut-être un jour illustrer un livre comme Le Maître et Marguerite. Ce qui m’empêcherait de le faire, c’est l’économie du livre. La réalité du métier est un peu triste, il y a des techniques de création qui ne sont plus rentables. Il faut se réinventer pour faire face à ce durcissement. Les grands rêves de création sont un peu enterrés à cause de ça. Et puis je ne fais que les projets que j’aime. Sans cette condition, je ne pourrai pas les faire. Il y a beaucoup de façon d’exercer notre métier, mais j’ai la prétention de participer à la littérature de jeunesse et non à un produit (ce qui n’est pas forcément péjoratif), c’est-à-dire que j’ai la volonté de faire des œuvres qui partent d’une envie d’un auteur pour arriver jusqu’au lecteur.

Quel pouvoir ont le livre et la lecture pour vous ?

R.L. : Mon rapport premier au livre reste — et ça l’était déjà quand j’étais gamin — la bande dessinée. À l’époque, ce n’était pas considéré comme de la lecture. Le livre est un support ultra puissant. L’objet, ce qu’il contient, est puissant, car la bulle que cela génère quand on est dans la lecture est unique. Quand tu es lecteur, tu es acteur parce que les images, c’est toi qui les produits. C’est une construction intérieure. Et je crois que les livres peuvent changer la vie de quelqu’un, son regard sur le monde et je suis très fier de pouvoir m’exprimer dans ce support. Aussi parce que les rencontres que provoquent les livres sont importantes et le public de lecteurs s’agrandit.
Les livres m’accompagnent dans ma perception de l’humanité. Quand on est lecteur, il y a quelque chose de l’ordre de l’éthique qui s’édifie. Cela se répercute sur notre façon d’être, nous sommes le résultat de nos lectures. Cela nous met dans un état de connexion avec le sens des mots, avec la pensée complexe, c’est un chemin. Pour moi, les rencontres scolaires sont très importantes, pas tant pour partager les livres que l’on aime, mais pour se dire que cela peut avoir des répercussions : les enfants comprennent qu’ils peuvent se nourrir eux-mêmes. Je crois sincèrement que les gens éloignés de la lecture sont plus facilement manipulables parce que la lecture permet inexorablement de développer le sens critique. Les livres ont une influence sur soi, sur nos émotions, c’est évident.

Régis Lejonc consacre son temps à l’illustration et au dessin, caché quelque part entre les ruelles de Bordeaux.

Régis Lejonc nous a très gentiment ouvert sa bibliothèque : à vous d’y dénicher des envies de lecture !

Bibliographie sélective de Régis LEJONC :

Oddvin, le prince qui vivait dans deux mondes, texte de Franck Prévot, HongFeï Cultures, 2018

Tu seras ma princesse, texte de Marcus Malte, éditions Sarbacane, 2017

Cœur de bois, texte de Henri Meunier, éditions Notari, 2017

Kodhja, texte de Thomas Scotto, éditons Thierry Magnier, 2015

Richard Guerineau

Richard Guerineau

En plus de son talent, sa plume alerte et son dessin au style vif, expressif, Richard Guérineau possède une bonne humeur débordante. C’est chez lui, entre deux allers-retours aux ateliers Flambant Neuf qu’il partage avec les dessinateurs Alfred et Régis Lejonc, qu’il nous reçoit pour nous inoculer son virus pour les livres et le dessin.

 

Propos recueillis par Romuald Giulivo

 

Qu’est-ce qui est venu en premier dans ta vie de lecteur : l’image ou le texte ?

Richard Guérineau : En réfléchissant aussi loin que mes souvenirs me portent, je dirais que les deux sont arrivés en même temps. Et par la bande dessinée, sûrement parce qu’il n’y a pas de hasard. Enfant, je forçais tous les soirs mon père à me lire les mêmes albums de Lucky Luke. Je ne savais pas encore déchiffrer, j’étais avant tout concentré sur l’image, mais si par malheur il sautait plusieurs bulles pour s’épargner, je le sentais et le rappelais à l’ordre. C’est vraiment la conjonction des deux, texte et images, qui m’a très tôt fasciné. La façon dont les cases s’enchaînent pour raconter une histoire, le mystère de ce mode de lecture au final très complexe qu’est celui de la BD, faisant appel à un dialogue entre les mots et les dessins. J’ai d’ailleurs très vite commencé à copier des planches pour tenter de comprendre comment ça fonctionnait et je l’ai fait jusqu’à mon bac, jusqu’à ce que j’entame des études d’arts plastiques – domaine où la bande dessinée est au mieux vue avec beaucoup de condescendance et au pire complètement dénigrée.

C’était quoi la bande dessinée que l’on pouvait lire lorsque tu étais jeune ?

Richard Guérineau : Dans mon cas, c’était surtout les grands classiques. Tout simplement parce que c’était ce que l’on trouvait au rayon BD du supermarché où je passais mon temps pendant que mes parents faisaient les courses. Gamin, j’étais complètement fan de Blueberry. Plus généralement, j’étais à fond dans le western. J’en regardais chaque mardi à la télé avec mon père, et je dévorais toutes les séries du genre : Blueberry donc, mais aussi Cartland, Mac Coy, etc. J’ai eu une longue période monomaniaque, j’étais fasciné par l’imagerie du western au sens large : non seulement les objets — les selles, les chapeaux, les pistolets, etc. —, mais aussi les couleurs, les lumières qui lui sont propres.

La prose est arrivée plus tard ?

Richard Guérineau : J’ai eu évidemment quelques passages obligés étant enfant, j’ai lu Le Club des cinq ou d’autres tomes de La Bibliothèque verte, mais on ne peut pas dire que ces livres m’aient laissé de grands souvenirs. Je suis réellement tombé en littérature à l’adolescence par le biais du genre. J’ai dévoré Lovecraft, j’ai dévoré Tolkien et aussi pas mal de polars. Je continue d’ailleurs à lire du genre aujourd’hui, mais je n’y suis pas enfermé, je peux me faire plaisir tant avec un bouquin de science-fiction qu’un bon roman intimiste. Je fonctionne le plus souvent par période. Si je découvre un auteur dont un titre me met une claque, je veux ensuite aller explorer le reste de travail et je peux ne plus en sortir pendant des mois, tant que je n’ai pas lu la quasi-totalité de son œuvre. Ça m’a fait ça avec Ellroy, avec McCarthy. Je suis très attiré par les pavés de 800 pages, dont la lecture vous aspire et qu’on retrouve chaque jour, chaque soir avec impatience. Je suis aussi un peu un teigneux, j’aime quand il faut s’accrocher. Étant un grand fan d’Alan Moore, j’ai par exemple lu les 1300 pages de Jérusalem sans en sauter une seule. Le livre est très complexe, certains chapitres sont écrits dans une langue presque phonétique, mais j’ai fourni l’effort et me suis laissé embarqué. Ça ne vaut pas les meilleures BD dont il a signé le scénario — From Hell bien sûr, ou encore Promethea que je tiens pour l’un de ses chefs-d’œuvre —, mais c’était un chouette voyage.

Toi qui as notamment adapté des romans, quel regard portes-tu sur les liens entre littérature et bande dessinée ?

Richard Guérineau : On essaie toujours de ramener la BD soit vers la littérature soit vers le cinéma, plutôt que lui donner un statut spécifique, celui d’une narration faite en même temps de mots et d’images. Nous avons en France une tradition culturelle encore très littéraire — beaucoup plus que dans les pays anglo-saxons. L’écriture en prose est chez nous sacralisée, quand la bande dessinée demeure — malgré ou peut-être à cause de son succès — cantonnée dans le domaine du divertissement. J’ai donc du mal avec cette question. Toutefois, force m’est de constater que, en vieillissant, je suis de plus en plus attiré dans mes lectures ou dans mon travail par une BD que l’on pourrait qualifier de plus littéraire, même si je n’aime pas ce mot. J’ai envie de sortir du format classique 46 pages, j’ai l’impression d’en avoir fait le tour et préfère des livres plus amples, des univers plus développés et où je peux m’immerger — en gros ce que l’on nomme aujourd’hui des romans graphiques même si, là aussi, je ne suis pas fan du terme.
Quand je fais des albums comme Charly 9 ou Henriquet, je réponds à des envies plus littéraires. Mais je demeure très attentif à un écueil dangereux en BD, celui de devenir verbeux. On parlait d’Alan Moore tout à l’heure et, sur cette question, son travail demeure pour moi une référence : à quelques exceptions près, il a su produire des ouvrages très écrits, mais avec le bon dosage entre mots et images.
J’ai l’impression d’être à une période de mon travail d’auteur où j’ai enfin digéré mes influences. Je cherche par la lecture des surprises dans d’autres univers, d’autres approches qui viendront peut-être alimenter mes futurs albums. Je dis peut-être, car je veille toujours à rester dans la position du lecteur, plutôt que celle qui consisterait à décortiquer toutes les œuvres qui nous passent entre les mains. Quelque part, le plaisir de lecteur importe avant tout le reste.

Richard Guérineau vit dessin et écriture, quelque part à la frontière bordelaise.

Richard Guérineau nous a très gentiment ouvert sa bibliothèque : à vous d’y dénicher des envies de lecture !

 

Bibliographie sélective de Richard Guérineau :

Henriquet, l’homme reine, éditions Delcourt

Charly 9, (d’après le roman de Jean Teulé), éditions Delcourt

Après la nuit, (scénario : Henri Meunier), éditions Delcourt

Le chant des Stryges, (scénario : Éric Corbeyran), éditions Delcourt

Laurent Queyssi

Laurent Queyssi

C’est dans un recoin de la bordure galactique bordelaise, là où il a établi sa base et travaille nuit et jour à écrire ou traduire depuis l’anglais — romans, nouvelles, scénarios de bande dessinée — que nous avons soumis Laurent Queyssi au test de Voight-Kampff afin de faire parler ce boulimique de pop culture sur son rapport à la chose imprimée. Et les résultats sont forcément intrigants.

Propos recueillis par Romuald Giulivo

 

Comment a débuté ton chemin dans la lecture ?

Laurent Queyssi : J’ai lu avant même de savoir déchiffrer. Ça a débuté avec Les Aventures de Tintin, que ma mère m’achetait chaque dimanche, à peu près je pense à l’âge où j’ai perdu mon père. Et puis quand j’ai eu tous les albums, elle a continué avec les Astérix. Je me souviens d’ailleurs, lorsque j’ai vraiment su lire, j’ai été très déçu qu’Astérix ne soit pas le gros ; pour moi c’était lui le héros de ces histoires. Je suis donc venu à la lecture par l’image, et avant tout par la bande dessinée. C’est toutefois peu après cela que je suis arrivé aux romans — Jules Verne, la bibliothèque rose —, d’une façon ordinaire, plutôt banale et apaisée. Jusqu’à l’adolescence, où tout a explosé. Il y avait une petite bibliothèque dans la ville où j’habitais et j’ai découvert soudain un territoire inconnu à explorer, des auteurs de toutes les nationalités, des livres de tous les genres. Même si je me suis assez vite concentré sur un rayon en particulier, car je crois avoir lu en trois ans l’intégralité des ouvrages de science-fiction dont disposait la bibliothèque.

D’où te vient ce goût pour le genre ?

L.Q. : De l’école, indéniablement. En classe de cinquième, j’ai étudié Niourk de Stefan Wul, et cette lecture m’a profondément marqué. J’ai alors fouillé le CDI de mon collège pour découvrir ce qui pourrait s’en rapprocher, et je suis tombé sur une collection quasi complète de la revue Fiction [1]. J’étais évidemment trop jeune pour cette publication qui contenait des nouvelles très littéraires, très politiques, mais quelque chose dans ces textes m’a fasciné et ne m’a plus lâché. C’est plus tard, au lycée, que j’ai commencé à lire autre chose. J’ai lu Burroughs, j’ai lu Bukowski, c’est-à-dire tous ces romans qui fascinent les adolescents se piquant de littérature. Tout ce qui peut permettre de se démarquer, ces ouvrages qu’on se repasse quand on apprécie le rock — et il n’y a pas beaucoup de rock chez Flaubert, je le pressentais déjà et l’ai constaté une fois à la fac. Ma passion pour la littérature est clairement indissociable de celle que j’entretiens pour la musique. Je grandissais dans un désert culturel et nous étions à l’affût des disques, des livres, de tout ce qui pouvait nous apporter un peu d’air frais. Tout était lié. Les auteurs que nous lisions citaient des tonnes de groupes que nous allions écouter, et vice-versa. C’est ainsi je pense que je suis tombé sur Ubik de Philip K. Dick, et cela a changé ma vie. Vraiment, littéralement. J’ai découvert grâce à lui que la science-fiction ne se résumait pas à des histoires de vaisseaux spatiaux, j’ai réalisé que c’était plus dingue encore que tout ce que j’avais imaginé, ça pouvait être aussi de la grande littérature, ça pouvait puiser dans le mysticisme, la science, la philosophie… Dick ne m’a alors plus quitté. J’ai bossé sur lui à la fac, je viens de sortir une bande dessinée sur sa vie. Depuis toutes ces années, sa littérature ne cesse de me poursuivre…

D’être aujourd’hui traducteur et donc de lire en deux langues, cela a-t-il changé quelque chose dans ton rapport à la lecture ?

L.Q. : Je n’ai pas l’impression. Mis à part que je lis quand même encore, après toutes ces années, un peu plus lentement en anglais. Mais par exemple, j’aime toujours beaucoup lire des ouvrages traduits. Pour voir ce que font les autres, leur piquer des trucs. Il arrive bien évidemment des fois — sur certaines phrases, certains passages — où tu te dis que tu n’aurais pas fait les mêmes choix, mais rien ne permet d’affirmer que c’est toi qui as raison, et je trouve cela plutôt chouette. Ce n’est pas que tu pressens parfois des périphrases pour contourner des expressions idiomatiques de la langue source ; c’est plutôt le même sentiment qui parfois te saisit lorsque tu lis un auteur français et butes sur des tournures dont tu sais qu’elles ne sont pas dans ton registre d’écriture, sur des modes de récit que tu n’aimes pas employer. J’avoue ainsi ne pas comprendre ceux de mes confrères qui ne lisent plus de traduction. Je trouve que c’est se priver à la fois d’un plaisir simple et d’une réelle source de réflexion sur notre travail.

Est-ce au final la lecture qui t’a donné envie d’écrire ?

L.Q. : C’est surtout le fait de ne pas savoir dessiner. De vouloir faire de la BD, mais d’être tellement nul en dessin, d’avoir essayé pendant des années pour finir par me dire qu’il me fallait un autre moyen pour raconter les histoires que j’avais en tête. J’aimais tellement les histoires, toutes les histoires. Et surtout celles que je trouvais à l’époque dans des objets peu attrayants – ces Comics à couverture souple que j’achetais en maison de la presse, ces romans poche de SF aux couvertures improbables. Ces histoires-là, j’avais l’impression d’être le seul à connaître leur valeur, un peu comme certains récits des Pulps dans les années 30, ces magazines bon marché qui passaient alors pour de la sous-littérature, mais qui publiaient pourtant Chandler, Hammett, Lovecraft ou London. Du coup, mon travail d’auteur ressemble étroitement à mon parcours de lecteur. J’ai envie d’écrire de tout, partout. Tu apprends à écrire en lisant, et ce quoi que tu lises. Je me demande même à quel point tu n’écris pas pendant longtemps ce que tu as lu.

[1] Fiction est une revue de science-fiction française publiée pour la première fois en octobre 1953. C’est la revue française qui a connu la plus grande longévité dans le domaine puisqu’elle a compté 412 numéros avant de s’éteindre en 1990.

Laurent Queyssi consacre son temps à l’écriture, la traduction et la guitare, quelque part dans une galaxie lointaine, très lointaine…

Laurent Queyssi nous a très gentiment ouvert sa bibliothèque : à vous d’y dénicher des envies de lecture !

 

Bibliographie sélective de Laurent QUEYSSI :

auteur

Phil, une vie de Philip K Dick, avec Mauro Marchesi (dessin), éditions 21g
Allison, éditions Moutons électriques
Comme un automate dément reprogrammé à la mi-temps, éditions ActuSF

traducteur

Normal, Warren Ellis, éditions Au diable Vauvert
Tous les oiseaux du ciel, Charlie Jane Anders, éditions J’ai lu
All-Star Superman, Frank Quitely, Jamie Grant, Grant Morrison, Urban Comics

 Pour en savoir plus :

http://laurentqueyssi.fr/site/

Jean-Christophe Tixier

Jean-Christophe Tixier

Jean-Christophe Tixier est auteur d’une quinzaine de romans, de nouvelles et de fictions radiophoniques. Il partage son temps entre l’écriture et l’organisation d’Un Aller-Retour dans le Noir (Pau), salon dédié aux littératures noires. Il nous a reçus à Pau, dans son appartement face aux Pyrénées.

 

Propos recueillis par Lucie Braud

 

Vous souvenez-vous de vos premières lectures ?

Jean-Christophe Tixier : Le premier livre qui a créé des images dans ma tête, c’est Voyage au centre de la Terre de Jules Verne. J’ai compris que la lecture pouvait m’emmener très loin. Je me souviens également de Michel Strogoff dans la collection Rouge et Or. Quand nous accédions à cette collection, cela signifiait que nous passions un cap. Les romans d’aventures m’attiraient, Croc-Blanc, L’Appel de la forêt de Jack London m’ont marqué, mais Jules Verne a été une révélation et les images que j’ai fabriquées à l’époque sont encore là. La culture du livre à la maison, nous l’avions, mais elle n’était pas très développée ou disons, elle était assez normée. Nous avions la Bibliothèque Rose, la Bibliothèque Verte et la collection Rouge et Or et quelques San Antonio. Le tout tenait sur cinq ou six étagères. J’ai fait des découvertes littéraires à la bibliothèque du collège, comme Buzzati par exemple. Autant les romans d’aventure me donnaient l’impression de prendre le grand air, autant Buzzati m’a ouvert sur une autre fonction de la littérature : se réinterroger sur la place qui est la tienne, sur des sujets plus existentiels. Au lycée, j’ai découvert Hugo et Zola. J’aimais leur façon de dépeindre la société, cette littérature du quotidien, leur regard social et politique et la façon dont ils parlaient de la condition ouvrière. Cette découverte n’est pas étrangère au choix d’avoir fait des études d’économie. La part des sciences humaines et la part de l’individu, l’organisation de la société, les choix, les conséquences, c’est ce qu’abordaient ces écrivains classiques. Et mon écriture prend également source dans l’économie.

Comment ont évolué votre pratique de la lecture et vos goûts ?

J-C.T. : Je lis quotidiennement, mais je n’aime pas de genres en particulier. Je ne suis pas fan de thriller, de romans d’enquête ou nombrilistes. Comme je m’occupe du salon du livre Un Aller-retour dans le noir, je lis beaucoup de littérature noire d’auteurs français et américains, qui sont allés dans la rue et qui se sont posé des questions sur la société. J’aime les textes écrits et je lis à voix haute dans ma tête. Mon plaisir passe par le rythme, la sonorité des mots en plus des personnages et des sujets. Je lis souvent plusieurs livres en même temps. Il y a les livres du soir, les livres pour les transports. Il n’y a pas forcément de différence, mais ils ont une place particulière et c’est un rendez-vous avec chacun. En écriture, je suis également sur plusieurs projets à la fois. Je passe d’une case à l’autre, c’est une fonction que j’ai toujours eue. J’aime explorer des genres littéraires différents, en lecture et en écriture

Vous étiez professeur d’économie en lycée. Lisiez-vous à vos élèves des textes littéraires évoquant l’économie ou la sociologie ?

J-C.T. : Lire à voix haute n’est pas naturel pour moi. Je leur donnais des références, des ouvertures, mais lire, non, je ne le faisais pas. Je n’y ai jamais pensé. Je donnais des clefs de compréhension de l’actualité, des médias. Je ne me sens pas légitime pour lire des textes à voix haute, cela peut m’arriver lors de rencontres, mais je ne suis pas sûr d’être passionnant.

 

Vous écrivez, entre autres, des romans de littérature jeunesse. Est-ce important pour vous de faire aimer la lecture aux jeunes ?

J-C.T. : Ce que j’aime dans ce que permet l’écriture, c’est la rencontre avec les jeunes. La place du jeune et l’intérêt que nous lui accordons retranscrivent un rapport à la jeunesse compliqué en France. Ce que nous renvoyons aux jeunes, c’est « fais tes preuves et on en reparlera ». Tant que je peux, j’écrirai pour les jeunes. Il y a tellement de problématiques auxquelles ils doivent faire face, il faut leur transmettre, les accompagner, et la littérature y participe. J’estime avoir mon rôle à jouer à travers ce que j’écris. Les années collège sont des années charnières dans la construction de l’individu et les rencontres avec des auteurs y sont très développées. Au sein du salon Un Aller-retour dans le noir, nous organisons plus d’une cinquantaine de rencontres scolaires, ce qui représente environ mille cinq cents jeunes. Les plus belles choses que je puisse entendre à ces occasions, ce sont des phrases telles que « c’est la première fois que je lisais un livre jusqu’au bout » ou les témoignages d’enseignants qui constatent que, suite à la rencontre avec l’auteur, les jeunes vont au CDI. Cependant, écrire et participer à des rencontres, ce n’est pas le même métier. Écrire n’implique pas que nous devions labourer le terrain derrière, c’est un travail qui est fait par les médiateurs que sont les bibliothécaires, les enseignants. Mais en ce qui me concerne, j’ai besoin de ce contact avec les jeunes.

Pensez-vous qu’il faille rencontrer l’auteur pour rencontrer l’œuvre ?

J-C.T. : La notion « j’aime lire / je n’aime pas lire », je pense que c’est une connerie. Avec la musique, en écoutant les quinze premières secondes, on peut dire si on accroche ou pas. Mais la lecture demande un effort. Si on n’a pas d’images, pas d’émotions, on peut poser le livre et ce n’est pas parce qu’on n’aime pas lire. C’est que l’on n’a pas encore rencontré le livre qui nous a procuré des émotions. En littérature, il y a autant de genres qu’en musique. Avant même de rencontrer une œuvre, il faut s’interroger sur ce qu’est la lecture. Les lettres sont un code qui permet de passer de la tête de l’auteur à celle du lecteur. L’acte de lire fabrique des émotions et pour certains gamins, c’est une découverte absolue. Créer des émotions, cela demande certaines exigences, sortir d’un rapport binaire au monde. Lire est une expérience de vie, elle peut être agréable, désagréable, remuante. C’est vivre ce qu’on ne peut pas vivre dans la vraie vie.

Quelle différence faites-vous entre l’écriture et la lecture ?

J-C.T. : Mon rapport à l’écriture est lié à mes études scientifiques. Je n’étais pas bon en français et pas à l’aise en rédaction. J’ai compris très tard ce que signifiait « écrire ». Lorsque j’anime des ateliers d’écriture avec les jeunes, je leur donne trois phrases: faire vivre / écrire / améliorer. L’acte d’écrire est un codage, les choses doivent exister préalablement. Ce qui est compliqué, c’est d’être avec un stylo et d’être face à ses propres difficultés, d’être dans l’évaluation. Si écrire est traduire ce que l’on vit, je leur fais fermer les yeux pour qu’ils explorent une image et ses émotions. Cela montre ce qu’est la lecture. Les rencontres m’intéressent en cela, parler d’écriture et de lecture comme un acte possible pour chacun, sans faire croire que c’est un acte magique. Cela leur demande de la concentration. Les lectures influencent la façon d’écrire, c’est évident. Mon codage est une question de rythme qui est proche de ce que j’aime comme lectures. Les deux se rencontrent. Mon prochain livre est un livre pour adulte. C’est une grande satisfaction pour moi, car j’ai suivi ma sonorité, mon rythme. Le genre vers lequel tu vas dicte des choses. Là, je n’ai pas tenu compte du genre pour trouver ma voix.

Comment choisissez-vous vos lectures ?

J-C.T. : L’échange est important. J’écoute beaucoup les autres parler de ce qu’ils ont aimé. Mon compagnon est un énorme lecteur, il sait ce que j’aime et m’oriente beaucoup. J’y vais aussi à tâtons, pour explorer. Certains sujets me passionnent, mais je n’hésite pas à abandonner un livre s’il m’ennuie. Les rencontres avec les auteurs font aussi mes envies de lectures. J’anime un Café polar à la bibliothèque de Pau et lors de ces échanges, nous croisons nos goûts, cela permet d’aller sur des champs que nous n’aurions pas explorés seuls. Ces partages sont possibles parce que des gens ont en envie. C’est une histoire de rencontres.

Jean-Christophe Tixier a écrit une quinzaine de romans dans des genres et pour des âges différents. Il est aussi l’auteur de nouvelles et de fictions radiophoniques qui ont été diffusées sur France-Inter. Il partage son temps entre l’écriture, l’organisation à Pau d’un salon dédié aux littératures noires, intitulé Un Aller-Retour dans le Noir, et les voyages.

Jean-Christophe Tixier nous a très gentiment ouvert sa bibliothèque : à vous d’y dénicher des envies de lecture !

 

Romans jeunesse

Dix minutes à perdre, Souris Noire, Éditions Syros, 2015

Traqués sur la lande, Rageot Roman, Éditions Rageot, 2016

Demain il sera trop tard, Éditions Rageot, 2017

Pièces radiophoniques

Sous le papier, la rage, Dramatique, Diffusion France Inter, 2014

William et Harry, Dramatique, Diffusion France Inter, 2015

Casino fatal, Dramatique, Diffusion France Inter, 2015

Bibliographie sélective de Jean-Christophe TIXIER

Pour en savoir plus :

http://www.jeanchristophe-tixier.fr

Roman adulte

Dernière station, Éditions LNA, 2010.

Nouvelles

La Rosalie, Éditions Atelier In8, 2007.

Porte Sud, Éditions Atelier In8, 2007.

Copains comme cochon, Éditions Atelier In8, 2017.

Patrice Luchet

Patrice Luchet

C’est à Agen que le parcours de lecteur de Patrice Luchet a commencé. Patrice Luchet, auteur et enseignant, lit partout, beaucoup, à voix haute, seul, avec d’autres auteurs, avec le public, pour tout le monde. Il nous a reçu dans sa salle de classe du collège Jules Ferry de Mérignac (33) pour nous offrir sa voix d’auteur, une voix passionnée, atypique et généreuse.

Propos recueillis par Lucie Braud

 

Quel est votre premier souvenir de lecture ?

Patrice Luchet : Je viens d’une famille où il n’y avait pas beaucoup de livres, seulement des éditions France Loisirs reçues tous les mois. Ce n’étaient pas des livres choisis. Je me souviens de titres, La Dentellière, ou d’auteurs, Pagnol, Labro, mais cela ne m’attirait pas. Il y avait une collection liée à l’encyclopédie Tout l’univers que je feuilletais pour les images, les cartes. Et puis, il y avait des livres d’auteurs russes que mes parents disaient ne pas être de mon âge, ce qui était donc très attirant. J’avais onze, douze ans quand j’ai lu Dostoïevski et Gogol. Je ne comprenais rien, mais les personnages étaient envoûtants. Cela parlait de la mort, d’alcool et c’était très étonnant pour moi qui avais une vie très policée.
Au collège, je lisais les grands classiques. J’aimais le théâtre de Camus. Ces textes courts me semblaient plus faciles d’accès. Petit à petit, j’ai trouvé dans la lecture, des femmes et des hommes puissants qui me donnaient une image idéalisée de l’être humain : Électre, Andromaque, Antigone… Leur vie contrastait avec ma vie très resserrée dans mon cocon familial. Mais depuis tout petit, j’écrivais des textes pour ma maman comme « je t’aime maman », « le ciel est bleu », je me rendais compte que c’étaient des textes poétiques et je les lisais à ma mère, comme un cadeau.

À quel moment avez-vous plongé dans la littérature ?

P.L. : Le basculement vers la littérature s’est fait à la bibliothèque d’Agen. C’était à l’époque une bibliothèque peu fournie, avec une vision passéiste idéalisée. Et puis un jour, dans le rayon adulte, je suis tombé sur Howl Kaddish d’Allen Ginsberg, un roman avec, sur la couverture, un homme nu et barbu. Je l’ai volé. J’avais treize ans, et un mec à poil sur un livre, cela me faisait rire tout en paraissant très transgressif. Je ne pouvais pas me permettre d’aller à la banque de prêt à cause de cette image, je ne voulais pas que l’on sache ce que je lisais. Je ne voulais pas être vu avec ce livre. Je l’ai lu, et c’était monumental à cause de la transgression qu’il représentait. J’ai découvert que l’on pouvait lire des auteurs qui n’étaient pas français, que l’on pouvait tout lire, qu’il y avait des textes avec des anaphores, des répétitions, qu’il y avait des textes qui sonnaient. Une énorme porte venait de s’ouvrir. Je me suis mis à chercher de la poésie et j’en ai parlé à mon professeur de français pour savoir ce qui existait. Mais je n’ai découvert alors que des auteurs morts. Quatre ans plus tard, j’ai rapporté le livre à la bibliothèque, par culpabilité. Mais encore trois ans plus tard, je suis revenu et je l’ai revolé parce que c’est un livre fondateur pour moi, et que je devais le posséder.

De la lecture à l’écriture, comment la transition s’est-elle faite ?

P.L. : Quand j’étais étudiant, il y avait une professeure de littérature, Maïalen Lafitte, qui organisait la venue d’auteurs dans ses classes et moi, de mon côté, j’organisais des rencontres devant l’amphi 700 de l’Université Michel de Montaigne de Bordeaux avec des danseurs, des musiciens, des auteurs qui étaient des amis. Un jour, elle m’a annoncé qu’elle allait accueillir Julien Blaine. Je suis allé à cette rencontre et j’ai découvert un type monstrueux, dans l’excès, dans la démesure. Son œuvre, c’est littéralement sa vie. Julien Blaine parlait d’auteurs que je ne connaissais pas, du tragique, de la politique et, il a proposé aux étudiants de faire des choses avec lui. Je me suis manifesté, il m’a invité à la Prévôté (résidence de création organisée par l’agence Écla Aquitaine), nous avons travaillé tout l’après-midi et nous avons fait une lecture publique ensemble. Il y a eu une grande complicité entre nous et sa générosité m’a marqué. Je suis parti à Marseille avec lui. Je suis resté une semaine chez lui puis une semaine en résidence au CIPM (Centre international de poésie Marseille). J’ai pu avoir accès à la bibliothèque du CIPM et à celle de Julien Blaine. Il m’a présenté Nicolas Tardy, Pascal Poyet et d’autres auteurs avec qui je travaille aujourd’hui.
L’acte d’écrire est très lié pour moi à la lecture. Quand mon texte est écrit, je le lis à voix haute et je l’enregistre. Le lendemain, je refais l’enregistrement à partir de ma mémoire, pour voir ce qui reste du texte. Je réécris alors à partir de là, je reprends le texte d’origine et réintègre ce qui me convient. Le lire à haute voix me permet de voir si le texte sonne. Si ce n’est pas le cas, je le jette. La poésie est une écriture naturelle pour moi qui suis un matheux. J’y retrouve une organisation mathématique, la géométrie, l’algèbre. Elle permet de me libérer sur ce que je veux raconter.

Pourquoi lire à voix haute et quel engagement cela représente-t-il ?

P.L. : Tous les textes que j’écrivais, je les lisais à ma mère dans la cuisine parce qu’elle était occupée. Cela nous permettait de passer du temps ensemble et cela a forgé notre lien, ce même lien que je retrouve avec le public. Je propose très souvent à des auteurs et au public de lire avec moi. J’aime offrir cette liberté de choix. Cela crée des lectures vivantes et sincères.
Écrire est un engagement, une façon de dire le monde comme le fait Arno Bertina quand il parle de choses qui le scandalisent. Mais l’écriture est également une exploration de la langue comme ont su le faire Joyce ou Proust.
La lecture est un engagement très politique. Avec le collectif Boxon (Gilles Cabut, Cyrille Bret, Julien d’Abrigeon), nous sommes au cœur de cet engagement. Nous avons une culture dadaïste, une culture de l’événement où nous saisissons l’occasion de la lecture. Oser lire dans un espace public comme un bar, dans des espaces de vie. Lire a un sens politique : nous lisons dans la cité, dans la ville, dans des espaces qui ne sont pas dédiés à la lecture. J’aime particulièrement lire dans les collèges, les lycées, les universités, car les élèves ne sont pas habitués à ça. Je m’agace souvent de l’élitisme que l’on attribue à la poésie, comme si la poésie était une langue compliquée, pas accessible à tous. Mais la poésie parle de notre vie. J’écris en ce moment sur les services de l’État. Je m’intéresse aux personnels soignants, à leurs passions, leurs joies, la dureté de leur travail et aux instants de complicité qu’ils vivent. Je pars de leurs récits, du réel pour créer la fiction. Je mène un travail similaire sur les réfugiés, sur la façon dont l’État se comporte pour les accueillir.

Comment et que lisez-vous en public ? Comment faites-vous le lien entre la poésie que vous écrivez et les romans que vous lisez ?

P.L. : Je ne me sens pas légitime pour lire d’autres textes que les miens. J’intègre toujours l’intervention du public et je ne fais jamais de long tunnel de lecture, je lis toujours de petits textes. L’association de courtes lectures tisse une lecture. J’aime quand ces textes bougent et se percutent. Pendant l’Escale du livre de Bordeaux, j’ai eu une carte blanche pour organiser avec Carole Lataste une soirée lecture. J’ai fait se croiser des auteurs de poésie, de romans, de sociologie, d’anthropologie, de bandes dessinées et ces croisements ont permis de recréer une parole. Toutes ces expériences, expérimentations de lectures me permettent d’explorer le texte poétique et parfois d’écrire des textes pour deux ou trois voix, le plus souvent avec mon complice Julien d’Abrigeon. Lire avec Julien est en soi une expérience sonore qui pousse à dépasser les limites du texte. D’ailleurs, quand j’ai rencontré Julien Blaine, je n’ai respiré, lu et écrit que de la poésie. C’était une sorte d’enfermement. La réouverture vers le roman, je l’ai eu avec les conseils de lecture de Claude Chambard et avec son livre La Vie de famille. J’ai découvert les polars de J.P. Manchette, les personnages démesurés de Harry Crews qui évoluent dans des situations tragiques avec humour. J’ai trouvé une liberté chez Jean Echenoz dans Un An (éd. de Minuit), qui s’amuse avec le lecteur sans se jouer de lui. Chez Charles Reznikof, Holocauste et Stewart O’Nan, Un Mal qui répand la terreur (éd. de l’Olivier), j’ai découvert que langue et histoire, exploration et narration peuvent être liées. Dans La bouffe est chouette à Fatchakulla de Ned Crabb, le récit oscille entre le tragique et le comique. Mes textes sont dans cet état d’esprit. Même si Funky Collège est classé en poésie, ce sont des petites histoires où les prénoms sont importants parce qu’ils donnent du récit : « Fayssal » ne raconte pas la même chose qu’ « Arthur ». Et la part de narration permet de rendre le texte accessible.

Comment et que lisez-vous en public ? Comment faites-vous le lien entre la poésie que vous écrivez et les romans que vous lisez ?

P.L. : Je lis tous les soirs, la lecture du soir est nécessaire. Je lis le matin très tôt, assis à une table avec un cahier et un stylo. Un mot, un rythme peuvent déclencher une idée et l’écriture. Au collège, je ne force pas mes élèves à lire, mais je leur parle beaucoup de lecture. Je leur lis des extraits de mes propres lectures. Je partage cela avec eux pour les inciter à comprendre. Je leur donne des références pour les aider à écrire. Je leur montre des choses que je vois, des expositions, des vidéos. Ma préoccupation est qu’il se passe quelque chose de tellement fort entre nous grâce à la lecture qu’ils s’en souviendront et qu’ils reviendront vers le livre.

Patrice Luchet vit et travaille à Bordeaux. Depuis vingt ans, il écrit de la poésie destinée principalement à des publications orales.

Les photos ont été prises au domicile de Patrice ainsi qu’à la bibliothèque de Bordeaux Mériadeck, à qui nous adressons nos sincères remerciements.

Bibliographie sélective Patrice LUCHET :

Offrez des pissenlits, Contre-pied

Le sort du parasol, Série discrète

Funky collège, éditions Moires