Ferdinand est le premier récit écrit par Lucie Braud. Le texte fut publié en 2011 par les éditions In8, et trouve alors sa place dans la collection Alter & Ego, une collection que son directeur, Claude Chambard, présentait ainsi :
« Écrire vers la rencontre, avec l’autre, le lecteur, le monde qui ne nous attend pas, qui ne nous demande rien. En prose. Dans une prose où l’autre emplira nos yeux, de son absence, de sa présence, du pire essoufflement de soi au souffle prodigieux de l’autre — et inversement — pour nous sauver de la fin du monde. Dans la trace, dans la capacité à ne pas perdre la mémoire, à garder en mémoire, jusqu’à la parole “mythique” de l’autre qui s’incorpore dans l’écriture. Une carte postale, peut-être… une histoire d’amour, à coup sûr. D’une rive à l’autre. »
Qui est Ferdinand ?
Ferdinand, nous le connaissons tous. Les plus chanceux l’ont rencontré dans la vie, les autres dans leurs rêves. C’est lui qui nous cajole quand nous sommes tristes, qui nous encourage quand tout le monde nous lâche, qui nous apprend sans rien dire, qui nous accompagne quand personne ne comprend. C’est pour lui aussi que nous sommes là. Jusqu’au bout, parce que l’amour d’un grand-père ça n’a pas de prix. Heureusement.
Lucie Braud a écrit ses souvenirs à partir de photos. Des souvenirs comme matière pour réinventer l’histoire d’une vie que l’on se remémore en feuilletant un album de photos de famille. Ferdinand est un récit fictif, car les souvenirs transforment déjà la réalité. Du point de vue de l’enfant jusqu’à celui de la jeune femme, elle raconte l’histoire de cet homme qui habita sa vie.
J’ai longtemps repoussé l’écriture de cette lettre et depuis que le temps a passé il me reste une seule question. Je vous écris, je vous écris que la plupart de mes interrogations se sont envolées, ou plutôt avec l’âge, le regard, l’expérience, se sont concentrées autour d’un unique mystère et je parviens à peine à y croire. Qui le pourrait ? S’il n’y a au final rien d’étrange à vous écrire, à envoyer une lettre à un auteur mort, un homme dont les chairs sont dissoutes et les os blanchis depuis longtemps, il l’est beaucoup plus que la découverte de votre œuvre, faite il y a maintenant plus de trente ans, continue à me poursuivre. On pourrait aisément croire que ce phénomène soit lié à la matière de votre travail, votre talent pour l’horreur, la peur, l’innommable, votre construction d’un monde tentaculaire, un univers horrifique peuplé de créatures tout droit sorties de nos fantasmes nocturnes, une cosmogonie de dieux anciens et aveugles que vos admirateurs et parangons appelleront plus tard le mythe de Cthulhu, se l’appropriant pour le décliner en nouvelles, romans, films, jeux de rôles, jouets, peluches et autres succédanés jusqu’à la nausée. Je m’excuse de vous le dire, mais vos bacchanales tentaculaires, vos horreurs indicibles, si elles ont longtemps animé mon imaginaire — n’ai-je pas d’ailleurs consacré plusieurs années et plusieurs livres à vous pasticher ? — n’éveillent plus chez moi qu’un haussement de sourcils un peu gêné. Toutes ces questions-là se sont enfuies avec le temps, et il en va de même de celles concernant votre cosmicisme, votre hantise de l’effondrement de la civilisation — qui vous a parfois transformé en un salaud xénophobe d’un genre bien ordinaire. Même ça, même votre obsession pour la particularité de l’homme à être le seul animal capable d’esthétiser son propre destin a cessé de me fasciner, comme elle l’avait pourtant fait si violemment cet été de mes 15 ans, où j’ai lu l’intégralité de vos nouvelles. Et je ne parle même pas de votre style. Votre style, je l’ai découvert il y a peu de temps, maintenant que vous avez droit en français à de vraies traductions et que mon niveau d’anglais me permet de vous lire dans le texte. Si vous saviez, mon cher Howard. Longtemps la traduction de vos œuvres en français était digne de leurs premières parutions dans Weird Tales : caviardées, approximées, mutilées, trahies. Un vrai carnage. Pourtant, ces premières traductions honteuses, je ne parviens pas à m’en défaire. Prenez ainsi l’exemple de ce texte que je vais lire ce soir, cette courte nouvelle que vous avez écrit pour partie encore dans les brumes du sommeil. J’aurais pu la retraduire par moi-même, ou encore demander le secours de François Bon, qui excelle dans son travail à remettre en lumière votre œuvre. Mais je ne l’ai pas fait. J’ai conservé cette vieille version bancale, souvent obscure qui, à la relecture, m’a semblé inscrite au plus profond de moi. Un peu comme une légende.
Et il en va aussi de même de votre vie. Car si l’on a aujourd’hui balayé cette légende-là, construite en partie par vos soins mais aussi vos continuateurs, si l’on sait que vous n’étiez pas celui que l’on a longtemps imaginé, l’écrivain plus dérangé encore que ses récits, ne vivant que la nuit, ne fréquentant personne, puisant la totalité de ses histoires dans des rêves hallucinés ou se nourrissant uniquement de crème glacée, si l’on sait que vous étiez bien plus, que vous étiez un personnage d’une effrayante complexité, votre vie demeure encore plus une énigme. Malgré vos dieux, vos mythes, vos rêves et vos histoires, votre premier mystère, c’est vous-même. Et c’est bien, des années après la dernière question qui demeure pour moi.
Des années après, je me demande encore : « Qui êtes-vous, Monsieur Lovecraft ? »
Comme beaucoup de gens durant le premier confinement, Romuald Giulivo s’est posé la question de son utilité face à la crise sanitaire. Geste à la fois symbolique et dérisoire, il a choisi — plutôt que donner son avis comme bien trop d’artistes — de faire ce qu’il savait le mieux faire, à savoir lire. Il a donc sur plusieurs semaines donné à entendre la totalité de Sans un mot, un roman pour grands adolescents paru à L’École des Loisirs.
« Sans un mot est un livre qui m’a longtemps occupé, quand pourtant sa forme volontairement ramassée ne le laisse pas forcément paraître.
L’idée m’est venue en 2007 alors que Nicolas Sarkozy, ministre de l’intérieur eten pleine campagne présidentielle, a donné dans la surenchère qu’on lui connaît en profitant que des parents sans-papiers viennent chercher leurs enfants à l’école pour les arrêter devant les établissements scolaires. Il avait même fait mettre en garde à vue une directrice d’école qui avait eu l’outrecuidance de s’interposer durant une interpellation musclée. Le cynisme de ces opérations et l’instrumentalisation des enfants m’avaient comme beaucoup ému, et j’ai eu envie d’imaginer ces événements depuis le regard des enfants. Mais la première version du texte n’était pas satisfaisante. Moi-même fils d’émigré, je n’avais pas réussi à produire autre chose qu’un récit de colère et j’ai donc mis ce texte au tiroir.
Je pensais que ça serait définitif, mais hélas les dérives policières sont un marronnier dès qu’il est question de politique migratoire. Ainsi, en 2013, le même Nicolas Sarkozy, devenu président, s’est mis cette fois à arrêter des enfants au sortir des écoles, afin d’accélérer les processus d’expulsion de leurs familles. J’ai eu envie de revenir à mon texte, mais je n’ai pas réussi encore à trouver une voix, j’avais toujours dans l’idée un texte de première lecture et je crois que je ne sais pas vraiment faire ça.
Ce n’est que cinq ans plus tard, quand la scolarisation des enfants sans-papiers est revenue une énième fois dans le débat public, que le personnage de Dinah a trouvé sa voix, son regard et que le roman s’est un peu éloigné de son intention de départ pour explorer quelque de plus personnel. J’ai accepté que, comme certains sculpteurs préfèrent le bois au métal ou au marbre, mon matériau était l’adolescence, ce creuset où il est si facile d’allumer un incendie d’émotions. »
Expérimentation entamée durant la pandémie, cette nouvelle approche par la vidéo de l’écriture littéraire fait désormais partie du travail de Lucie Braud, auteur et scénariste du collectif.
« Alors que les sorties étaient limitées et beaucoup de projets annulés, je me suis replongé autrement dans l’écriture d’un projet entamé puis mis de côté. J’ai dû reprendre le fil et replonger dans les ambiances que j’avais photographiées lors de mes marches sur le sentier côtier, sur l’île de Groix, sur les rives du Rhône, en forêt ou dans les rues de Bordeaux. Des paysages, à des instants différents de la journée. À l’aube, au crépuscule, la nuit, le jour, par temps clair, par temps gris, jours de pluie voire de tempête. Des ombres et des lumières.
C’est dehors qu’une grande partie de l’écriture commence. Elle se poursuit dedans. Dans des instants du quotidien, le matin au réveil et le soir au coucher, chambre et salle de bain. Le corps mis en scène cherche et devient celui du personnage. Puis à la table, l’écriture d’un premier jet. Je suis à nouveau dehors. Les aller-retour sont incessants. Corps dehors, esprit dedans. Corps dedans, esprit dehors.
Je fouille dans cette bibliothèque d’images, je trie, je classe, je sélectionne. Je choisis la musique que j’écoute lorsque je m’attèle à cette tâche. Un morceau en boucle, toujours le même, au casque pour ne rien perdre du grain de la voix, pour déceler les détails de sa composition. La musique influe forcément sur le choix de mes images. C’est un état d’esprit, une épaisseur. Je m’interromps quand cela est nécessaire, et je note des idées de scènes, des phrases piochées ici ou là, parfois simplement un mot. Parce qu’il vient et que je le trouve beau.
Pour reprendre le fil de ce récit interrompu, je teste une autre narration en mettant bout à bout les photos choisies. Une écriture par l’image, un déroulé sans chronologie, des fragments, des couleurs, des moments du dehors et des moments du dedans. Chez moi, l’écriture n’a pas vraiment de schéma, elle s’invente et s’organise différemment à chaque fois. Le temps n’existe plus vraiment, nuit/jour, il se déroule, c’est tout. Dehors et dedans. »
Laurent Queyssi, caméléon aux mille talents, spécialiste des œuvres de Dick et d’Alan Moore, critique, traducteur, auteur, scénariste… et membre du collectif Un Autre Monde, publie en cette rentrée chez 404 comics, une aventure fleurant bon avec le multivers et la pop culture. À cette occasion, il répond à trois questions éclair :
Mundus c’est quoi ?
C’est une bande dessinée que j’ai écrite, dessinée par Oriol Roig, et qui raconte l’histoire d’un trio d’adolescents qui, dans les années 90, se retrouvent embarqués dans des univers parallèles qui sont, découvrent-ils, des univers de fiction. Après être tombé dans le monde d’un roman de SF (adapté en film) qu’ils connaissent, ils se retrouvent dans celui d’un jeu de rôle situé dans un Londres alternatif de 1888. S’ensuivent des problèmes, des aventures, des questionnements et, je l’espère, chez le lecteur, la sensation de se retrouver plongé – presque au sens propre – dans des fictions.
Quels sont tes autres projets de création du moment ?
Je viens de sortir un roman noir, La Nuit était chez elle, situé dans le même cadre que mon précédent, Correspondant Local. Je travaille actuellement, avec un camarade, sur un roman pour la jeunesse qui évoque l’ambiance pulp des années 1920 et sur un roman de science-fiction dont l’idée se rapproche un peu des thématiques d’auteurs que j’affectionne comme Philip K. Dick ou J.G. Ballard.
La dernière lecture qui t’a marqué ?
C’est sans doute le Nuits appalaches de Chris Offut dont j’avais déjà grandement apprécié les précédents et notamment My father, the pornographer : a memoir qui racontait ses souvenirs d’Andrew J. Offut, son père, un forçat de l’Underwood qui écrivait à la chaîne des romans populaires dans tous les genres, dont la pornographie. Celui-ci est un roman noir à l’américaine : grande dépression, Kentucky, bourbon, loyauté et vengeance. De la bonne…
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