Sans un mot

Sans un mot

Comme beaucoup de gens durant le premier confinement, Romuald Giulivo s’est posé la question de son utilité face à la crise sanitaire. Geste à la fois symbolique et dérisoire, il a choisi — plutôt que donner son avis comme bien trop d’artistes — de faire ce qu’il savait le mieux faire, à savoir lire. Il a donc sur plusieurs semaines donné à entendre la totalité de Sans un mot, un roman pour grands adolescents paru à L’École des Loisirs.

 

 

« Sans un mot est un livre qui m’a longtemps occupé, quand pourtant sa forme volontairement ramassée ne le laisse pas forcément paraître.

L’idée m’est venue en 2007 alors que Nicolas Sarkozy, ministre de l’intérieur eten pleine campagne présidentielle, a donné dans la surenchère qu’on lui connaît en profitant que des parents sans-papiers viennent chercher leurs enfants à  l’école pour les arrêter devant les établissements scolaires. Il avait même fait mettre en garde à vue une directrice d’école qui avait eu l’outrecuidance de s’interposer durant une interpellation musclée. Le cynisme de ces opérations et l’instrumentalisation des enfants m’avaient comme beaucoup ému, et j’ai eu envie d’imaginer ces événements depuis le regard des enfants. Mais la première version du texte n’était pas satisfaisante. Moi-même fils d’émigré, je n’avais pas réussi à produire autre chose qu’un récit de colère et j’ai donc mis ce texte au tiroir.

 

Je pensais que ça serait définitif, mais hélas les dérives policières sont un marronnier dès qu’il est question de politique migratoire. Ainsi, en 2013, le même Nicolas Sarkozy, devenu président, s’est mis cette fois à arrêter des enfants au sortir des écoles, afin d’accélérer les processus d’expulsion de leurs familles. J’ai eu envie de revenir à mon texte, mais je n’ai pas réussi encore à trouver une voix, j’avais toujours dans l’idée un texte de première lecture et je crois que je ne sais pas vraiment faire ça.

 

Ce n’est que cinq ans plus tard, quand la scolarisation des enfants sans-papiers est revenue une énième fois dans le débat public, que le personnage de Dinah a trouvé sa voix, son regard et que le roman s’est un peu éloigné de son intention de départ pour explorer quelque de plus personnel. J’ai accepté que, comme certains sculpteurs préfèrent le bois au métal ou au marbre, mon matériau était l’adolescence, ce creuset où il est si facile d’allumer un incendie d’émotions. »

 

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Dedans — Dehors : de la vidéo à l’écriture

Expérimentation entamée durant la pandémie, cette nouvelle approche par la vidéo de l’écriture littéraire fait désormais partie du travail de Lucie Braud, auteur et scénariste du collectif.
« Alors que les sorties étaient limitées et beaucoup de projets annulés, je me suis replongé autrement dans l’écriture d’un projet entamé puis mis de côté. J’ai dû reprendre le fil et replonger dans les ambiances que j’avais photographiées lors de mes marches sur le sentier côtier, sur l’île de Groix, sur les rives du Rhône, en forêt ou dans les rues de Bordeaux. Des paysages, à des instants différents de la journée. À l’aube, au crépuscule, la nuit, le jour, par temps clair, par temps gris, jours de pluie voire de tempête. Des ombres et des lumières.
C’est dehors qu’une grande partie de l’écriture commence. Elle se poursuit dedans. Dans des instants du quotidien, le matin au réveil et le soir au coucher, chambre et salle de bain. Le corps mis en scène cherche et devient celui du personnage. Puis à la table, l’écriture d’un premier jet. Je suis à nouveau dehors. Les aller-retour sont incessants. Corps dehors, esprit dedans. Corps dedans, esprit dehors.
Je fouille dans cette bibliothèque d’images, je trie, je classe, je sélectionne. Je choisis la musique que j’écoute lorsque je m’attèle à cette tâche. Un morceau en boucle, toujours le même, au casque pour ne rien perdre du grain de la voix, pour déceler les détails de sa composition. La musique influe forcément sur le choix de mes images. C’est un état d’esprit, une épaisseur. Je m’interromps quand cela est nécessaire, et je note des idées de scènes, des phrases piochées ici ou là, parfois simplement un mot. Parce qu’il vient et que je le trouve beau.
Pour reprendre le fil de ce récit interrompu, je teste une autre narration en mettant bout à bout les photos choisies. Une écriture par l’image, un déroulé sans chronologie, des fragments, des couleurs, des moments du dehors et des moments du dedans. Chez moi, l’écriture n’a pas vraiment de schéma, elle s’invente et s’organise différemment à chaque fois. Le temps n’existe plus vraiment, nuit/jour, il se déroule, c’est tout. Dehors et dedans. »

Dedans – Dehors .mp4 from un autre monde on Vimeo.

par R.G.

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Un nouveau site !

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En 2023, Un Autre Monde souffle ses dix ans et vous prépare de nombreuses surprises afin de célébrer ensemble l’événement.

 

Pour commencer, l’association s’offre un site Internet entièrement revu.
Nouvelle identité visuelle et nouvelle plateforme
, avec un contenu riche, repensé et exclusif. En plus de pouvoir y suivre nos actualités, consulter nos offres de spectacles, découvrir nos applications d’écriture numérique ou les projets d’éducation artistique et culturelle portés par les auteurs et artistes de notre collectif, vous pourrez y trouver aussi des études de fond, des entretiens avec des professionnels ou des critiques d’ouvrage. Cette base d’articles s’enrichira peu à peu au fil des mois afin de bâtir un site ressource à destination des auteurs et médiateurs du livre en territoire.

Beaucoup d’autres contenus suivront : nous en reparlerons très vite…

Bienvenue de nouveau dans notre monde !

 

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Traverser la nuit

Traverser la nuit

© Payot & Rivages

 

Hervé Le Corre est considéré comme l’un des maîtres du roman noir français. L’écrivain bordelais publie tout d’abord dans la collection Série noire chez Gallimard, puis principalement dans la collection Rivages/Noir dirigée durant de nombreuses années par François Guérif. Traverser la nuit est son dernier roman.

« On est au mois de mars et depuis des jours le crachin fait tout reluire d’éclats malsains, de lueurs embourbées. »
Bordeaux. L’ambiance de la ville annonce les drames qui s’y jouent. À une station de tramway, près de la cité des Aubiers, un homme est endormi par terre sous un banc. Son tee-shirt est maculé de sang. Embarqué par la police pour être interrogé, l’homme muet se jette par la fenêtre du commissariat pour s’écraser sur le sol.

« L’affaire aurait pu se résoudre simplement s’il n’y avait pas eu ces autres cadavres de femmes tuées de la même façon, à coups de couteau, avec acharnement. »

Appelé sur la scène d’un quadruple homicide, le capitaine Jourdan constate l’horreur de trop : une mère et ses trois enfants tués à coups de fusil par le père. Quelque chose s’est nécrosé, Jourdan ne veut plus comprendre ce qui mène les hommes vers leur chute. La tristesse cède la place à la colère et le silence s’impose plus que les mots. Cela fait longtemps qu’il en est ainsi alors Jourdan regarde sa vie s’écrouler lentement, sa femme et sa fille lui tourner le dos. Il s’affaisse et abdique devant la longue et lourde liste de reproches qu’elles lui adressent. Il s’enfonce dans son gouffre de silence et de colère, happé par sa vie de flic et les horreurs qui l’accompagnent. Les corps des enfants morts le hantent. Il pense à sa fille dont il ne connaît presque plus rien. Et sa vie de flic le rattrape sans cesse : une jeune femme poignardée a été retrouvée dans un squat. Son sang est le même que celui du tee-shirt de l’homme des Aubiers. L’affaire aurait pu se résoudre simplement s’il n’y avait pas eu ces autres cadavres de femmes tuées de la même façon, à coups de couteau, avec acharnement. Quel est le lien entre cet homme et ces femmes aux vies régies par la drogue et la prostitution ? Alors que Jourdan enquête, l’assassin se fond dans la masse des anonymes. Un homme perdu, torturé, rattrapé par son histoire sordide, l’inceste de sa mère qui a fait naître en lui une haine pour les femmes. Tant pis pour celles qui croiseront son chemin.

La ville que les touristes affectionnent tant dévoile des coulisses bien sombres. Jourdan tente de traverser la nuit, il se dit qu’un jour viendra, qu’il laissera alors ce merdier derrière lui, qu’il quittera tout, qu’il disparaîtra. Il en est là lorsqu’il rencontre Louise.

Louise a trente ans, elle est mère célibataire d’un petit garçon. Louise fait des ménages chez des petits vieux et Louise vit dans la terreur, battue puis harcelée par son ancien compagnon. Elle a bien tenté de fuir l’enfer et ses cauchemars, mais il faut croire que sa vie est sans horizon. Jourdan et Louise se croisent dans leurs nuits respectives. Cette rencontre arrive comme une lueur d’espoir timide et vacillante. Ils s’y raccrochent comme on se raccroche à des promesses d’une vie possible quand l’aube se lève.

« Il y a dans les coulisses de la ville aux pierres chaudes, quelque chose qui se joue loin des regards, dans les recoins des squats miteux, dans les camions garés sur le bord des routes en périphérie de la ville, dans ces appartements que la peur rend muets. »

Hervé Le Corre plonge le lecteur dans le brouillard qui enveloppe ses personnages. Nous marchons à leur côté, nous apprenons à les connaître au fil du temps, laissant nos yeux s’habituer à l’obscurité. Nous entrons à tâtons, nous avançons pas à pas pour éviter les obstacles qu’elle dissimule, nous écoutons ce que nous ne pouvons voir. Nous sommes dans un état cotonneux, assommés par tant de misère et de désespoir, par la haine et la souffrance qui poussent à tuer, mais nous continuons à croire que ces vies n’aboutissent pas toutes à des impasses. Le paysage est brouillé, notre vision altérée et nos os gelés. L’odeur du fleuve boueux imprègne le tissu de nos vêtements et s’incruste dans les profondeurs de notre âme. Folie et violence sont l’apanage de ces destins qui se croisent et s’entremêlent effroyablement. Il y a dans les coulisses de la ville aux pierres chaudes, quelque chose qui se joue loin des regards, dans les recoins des squats miteux, dans les camions garés sur le bord des routes en périphérie de la ville, dans ces appartements que la peur rend muets. Nous nous accrochons à cette lueur fragile qui s’est allumée dans les yeux de Jourdan et Louise, parce que c’est la seule chose qui nous reste, en espérant que le vent noir ne souffle pas trop fort.

Il y a dans l’écriture de Hervé Le Corre, une délicatesse qui nous embarque avec douceur vers la noirceur du monde. Sa langue est simple, sans fioritures. Elle observe, constate, évoque sans discours. Elle nous guide vers le bout du tunnel, pour traverser la nuit où, parfois, les hommes se déguisent en monstres.

Traverser la nuit, de Hervé Le Corre
Rivages/Noir, éditions Payot & Rivages

janvier 2021
300 pages
20,90 euros
ISBN : 978-2-7436-5173-2

par L.B.

 

Tamara

Tamara

Lecture par Lucie Braud, mise en musique par Romuald Giulivo autour de l’album de la nouvelle de Marcus Malte 

LE LIVRE
Guyanaise, Tamara hérite d’une maison en métropole et se lance dans l’élevage de cochons. Elle est donc noire, étrangère au village et travaille comme un homme. Certains cerveaux malades ne le supportent pas. Sa seule amie, une gamine, doit se battre pour la fréquenter. Un matin, Tamara décide d’en finir avec l’oppression agricole.

Tamara, suite et fin par Marcus Malte, est paru dans la collection Polaroïd des éditions In8

LE SPECTACLE
Marqués tous deux par l’œuvre et le travail de Marcus Malte, Lucie Braud et Romuald Giulivo donnent à entendre leur voix par le filtre des mots d’une nouvelle dense, profondément noire, mais aussi lumineuse. Dans une intimité feutrée, guitare arrangée et lecture intimiste bâtissent ensemble une ritournelle entêtante sur l’altérité, la violence et l’amitié.

Durée : 45 mn
première représentation :  Chalet Mauriac (Saint Symphorien -33)

L’AUTEUR
Marcus Malte est né en 1967, pas loin de la mer. Depuis 1996, il n’a cessé d’écrire des histoires, noires pour la plupart, aussi bien pour les adultes que pour la jeunesse. Une œuvre récompensée par de nombreux prix littéraires. Son dernier roman, Le Garçon (éditions Zulma) a reçu le prix Femina 2016.

Photo : © Mélanie Gribinski

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des spectacles

Tamara

Lecture intimiste de Tamara, suite et fin, nouvelle profondément noire de Marcus Malte , mise en voix en par Lucie Braud sur des guitares arrangées par Romuald Giulivo.

Lovecraft

Lecture par Romuald Giulivo autour de l’oeuvre de H.P Lovecraft, mise en dessin par Adrien Demont et en musique par Sol Hess Howard Phillips Lovecraft est aujourd’hui considéré comme le plus grand écrivain fantastique américain…

Raconte-nous, Ernesto

Création de R. Giulivo et M. Duclos, autour de son dernier album, Ernesto. Lecture dessinée où l’intime et l’universel, la quête des racines et les tragédies de l’histoire dialoguent.

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