Traverser la nuit

Traverser la nuit

© Payot & Rivages

 

Hervé Le Corre est considéré comme l’un des maîtres du roman noir français. L’écrivain bordelais publie tout d’abord dans la collection Série noire chez Gallimard, puis principalement dans la collection Rivages/Noir dirigée durant de nombreuses années par François Guérif. Traverser la nuit est son dernier roman.

« On est au mois de mars et depuis des jours le crachin fait tout reluire d’éclats malsains, de lueurs embourbées. »
Bordeaux. L’ambiance de la ville annonce les drames qui s’y jouent. À une station de tramway, près de la cité des Aubiers, un homme est endormi par terre sous un banc. Son tee-shirt est maculé de sang. Embarqué par la police pour être interrogé, l’homme muet se jette par la fenêtre du commissariat pour s’écraser sur le sol.

« L’affaire aurait pu se résoudre simplement s’il n’y avait pas eu ces autres cadavres de femmes tuées de la même façon, à coups de couteau, avec acharnement. »

Appelé sur la scène d’un quadruple homicide, le capitaine Jourdan constate l’horreur de trop : une mère et ses trois enfants tués à coups de fusil par le père. Quelque chose s’est nécrosé, Jourdan ne veut plus comprendre ce qui mène les hommes vers leur chute. La tristesse cède la place à la colère et le silence s’impose plus que les mots. Cela fait longtemps qu’il en est ainsi alors Jourdan regarde sa vie s’écrouler lentement, sa femme et sa fille lui tourner le dos. Il s’affaisse et abdique devant la longue et lourde liste de reproches qu’elles lui adressent. Il s’enfonce dans son gouffre de silence et de colère, happé par sa vie de flic et les horreurs qui l’accompagnent. Les corps des enfants morts le hantent. Il pense à sa fille dont il ne connaît presque plus rien. Et sa vie de flic le rattrape sans cesse : une jeune femme poignardée a été retrouvée dans un squat. Son sang est le même que celui du tee-shirt de l’homme des Aubiers. L’affaire aurait pu se résoudre simplement s’il n’y avait pas eu ces autres cadavres de femmes tuées de la même façon, à coups de couteau, avec acharnement. Quel est le lien entre cet homme et ces femmes aux vies régies par la drogue et la prostitution ? Alors que Jourdan enquête, l’assassin se fond dans la masse des anonymes. Un homme perdu, torturé, rattrapé par son histoire sordide, l’inceste de sa mère qui a fait naître en lui une haine pour les femmes. Tant pis pour celles qui croiseront son chemin.

La ville que les touristes affectionnent tant dévoile des coulisses bien sombres. Jourdan tente de traverser la nuit, il se dit qu’un jour viendra, qu’il laissera alors ce merdier derrière lui, qu’il quittera tout, qu’il disparaîtra. Il en est là lorsqu’il rencontre Louise.

Louise a trente ans, elle est mère célibataire d’un petit garçon. Louise fait des ménages chez des petits vieux et Louise vit dans la terreur, battue puis harcelée par son ancien compagnon. Elle a bien tenté de fuir l’enfer et ses cauchemars, mais il faut croire que sa vie est sans horizon. Jourdan et Louise se croisent dans leurs nuits respectives. Cette rencontre arrive comme une lueur d’espoir timide et vacillante. Ils s’y raccrochent comme on se raccroche à des promesses d’une vie possible quand l’aube se lève.

« Il y a dans les coulisses de la ville aux pierres chaudes, quelque chose qui se joue loin des regards, dans les recoins des squats miteux, dans les camions garés sur le bord des routes en périphérie de la ville, dans ces appartements que la peur rend muets. »

Hervé Le Corre plonge le lecteur dans le brouillard qui enveloppe ses personnages. Nous marchons à leur côté, nous apprenons à les connaître au fil du temps, laissant nos yeux s’habituer à l’obscurité. Nous entrons à tâtons, nous avançons pas à pas pour éviter les obstacles qu’elle dissimule, nous écoutons ce que nous ne pouvons voir. Nous sommes dans un état cotonneux, assommés par tant de misère et de désespoir, par la haine et la souffrance qui poussent à tuer, mais nous continuons à croire que ces vies n’aboutissent pas toutes à des impasses. Le paysage est brouillé, notre vision altérée et nos os gelés. L’odeur du fleuve boueux imprègne le tissu de nos vêtements et s’incruste dans les profondeurs de notre âme. Folie et violence sont l’apanage de ces destins qui se croisent et s’entremêlent effroyablement. Il y a dans les coulisses de la ville aux pierres chaudes, quelque chose qui se joue loin des regards, dans les recoins des squats miteux, dans les camions garés sur le bord des routes en périphérie de la ville, dans ces appartements que la peur rend muets. Nous nous accrochons à cette lueur fragile qui s’est allumée dans les yeux de Jourdan et Louise, parce que c’est la seule chose qui nous reste, en espérant que le vent noir ne souffle pas trop fort.

Il y a dans l’écriture de Hervé Le Corre, une délicatesse qui nous embarque avec douceur vers la noirceur du monde. Sa langue est simple, sans fioritures. Elle observe, constate, évoque sans discours. Elle nous guide vers le bout du tunnel, pour traverser la nuit où, parfois, les hommes se déguisent en monstres.

Traverser la nuit, de Hervé Le Corre
Rivages/Noir, éditions Payot & Rivages

janvier 2021
300 pages
20,90 euros
ISBN : 978-2-7436-5173-2

par L.B.

 

Tamara

Tamara

Lecture par Lucie Braud, mise en musique par Romuald Giulivo autour de l’album de la nouvelle de Marcus Malte 

LE LIVRE
Guyanaise, Tamara hérite d’une maison en métropole et se lance dans l’élevage de cochons. Elle est donc noire, étrangère au village et travaille comme un homme. Certains cerveaux malades ne le supportent pas. Sa seule amie, une gamine, doit se battre pour la fréquenter. Un matin, Tamara décide d’en finir avec l’oppression agricole.

Tamara, suite et fin par Marcus Malte, est paru dans la collection Polaroïd des éditions In8

LE SPECTACLE
Marqués tous deux par l’œuvre et le travail de Marcus Malte, Lucie Braud et Romuald Giulivo donnent à entendre leur voix par le filtre des mots d’une nouvelle dense, profondément noire, mais aussi lumineuse. Dans une intimité feutrée, guitare arrangée et lecture intimiste bâtissent ensemble une ritournelle entêtante sur l’altérité, la violence et l’amitié.

Durée : 45 mn
première représentation :  Chalet Mauriac (Saint Symphorien -33)

L’AUTEUR
Marcus Malte est né en 1967, pas loin de la mer. Depuis 1996, il n’a cessé d’écrire des histoires, noires pour la plupart, aussi bien pour les adultes que pour la jeunesse. Une œuvre récompensée par de nombreux prix littéraires. Son dernier roman, Le Garçon (éditions Zulma) a reçu le prix Femina 2016.

Photo : © Mélanie Gribinski

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Création de R. Giulivo et M. Duclos, autour de son dernier album, Ernesto. Lecture dessinée où l’intime et l’universel, la quête des racines et les tragédies de l’histoire dialoguent.

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Lecture de Bâtard, nouvelle de Jack London, sur les illustrations de Cromwell pour son nouvel album de bande dessinée, accompagnée par Éric Thomas.

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